antiAtlas Journal #2 - 2017
L’écriture comme architecture : performer la réalité jusqu’à ce qu’elle s’exécute
Raafat Majzoub
Raafat Majzoub a obtenu un BA en architecture à l’université américaine de Beyrouth et un Master of Science en art, culture et technologie du MIT. Son travail consiste en une négociation entre les différentes disciplines qui revendiquent une puissance d’agir sur la pratique sociale. Pour Majzoub son travail d’architecte, écrivain et artiste, consiste à « jouer la réalité jusqu’à ce que la réalité s’exécute ». À travers une série de romans, il créé l’épine dorsale d’un monde arabe alternatif où se déroule son travail : Le Jardin parfumé. Son travail a fait l’objet d’expositions, de publications et de performances à l’international. Il est le cofondateur du magazine The Outpost, situé à Beyrouth, et le directeur de The Khan: The Arab Association for Prototyping Cultural Practices.
Dans sa thèse, A Lover’s Discourse: Fictions (Fictions d’un discours amoureux, MIT, 2017) il postule une relation entre l’occupant et la terre qui est comparable à celle qui existe entre l’amoureux et l’aimé, et envisage l’acte d’amour comme un modèle de citoyenneté.
Cet article est un préambule condensé de cette thèse, dont la publication par le Khan est programmée pour 2018. Pour antiAtlas Journal, Majzoub expose deux concepts-clé de son travail, la « Fiction Active » et la « Fiction Dormante », entremêlant des extraits de son roman Le Jardin parfumé : une autobiographie d’un autre monde arabe (The Perfumed Garden: An Autobiography of Another Arab World) (passages entre guillemets), ainsi que des visuels et documentations relatifs au projet.
Traduit de l'anglais par Julien Guazzini.
The Beach House, image du film, Roy Dib, co-auteur Raafat Mazjoub, 2016
Pour citer cet article : Mazjoub Raafat, "L'Écriture comme architecture : performer la réalité jusqu'à ce qu'elle s'exécute", publié le 10 décembre 2017 in antiAtlas Journal #2 | 2017, en ligne, URL : dernière consultation le date
« Selon ma grand-mère, tout homme est un univers dans un univers où vivent chaque autre homme et chaque autre chose. […] Dans son univers, tout exige un acte de foi audacieux. La réalité ne se partageait pas et ne se transmettait pas en se référant aux faits. » — Le Jardin parfumé
I. Les Fictions Actives et Dormantes
1Tous nos souvenirs proviennent du même lieu. C’était ce dont parlait l’imam. C’était ce qu’Omar ne comprenait pas. Tous les gens sur le toit attendaient qu’Omar oublie qu’il lui fallait se souvenir. Ils n’attendaient pas de la façon qu’ont généralement les Arabes d’attendre — mollement. Tout le monde s’occupait de ses affaires. Rien ne s’arrêtait. Il y avait un trop-plein de vie sur ce parking du Midan El Opera, pour que quoi que ce fût s’interrompît.
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2Tous nos souvenirs proviennent du même lieu. Ce texte est une trame composée de deux textes, entremêlés l’un à l’autre pour dessiner une conversation. Tous deux, l’un composé à partir d’extraits d’un roman (Le Jardin Parfumé), et l’autre rédigé comme notice pour les besoins de cet article, entretiennent un dialogue, parfois délicat, parfois décousu, et peuvent se lire ensemble ou séparément.
Ce tramage est un moment de la réflexion sur la capacité d’agir [agency] à grande échelle : elle reflète ma quête, celle d’un artiste arabe, et plus largement d’un producteur arabe, cherchant à participer à l’élaboration de ce monde à un niveau politique, social et économique. Au cœur de tout ceci se trouve la question de la capacité d’agir, la capacité de manifester des choses qui peuvent ne pas correspondre à des réalités admises, de supposées bizarreries, au sein du public : des choses qui, par la seule vertu de leur existence, pourraient transformer ce même public.
Dans ce contexte, « faire » devient un acte de « publication », la production de quelque chose appelé à devenir public et par conséquent à diluer le public existant. Créer des fictions qui sont destinées à se diffuser dans des réalités avec le pouvoir d’ajuster ces mêmes réalités. Réarranger des frontières. Re-narrer des histoires. Raconter de nouvelles histoires. Et créer de nouveaux espaces où des histoires incompatibles avec les histoires déjà existantes pourront s’épanouir.
Pour l’heure, tout cela ne fait que compliquer ma relation avec la recherche. L’inclusion du passé récent et lointain exige d’inclure des souvenirs appartenant à certaines de ces mêmes réalités dont j'affirme que mes fictions sont destinées à se réapproprier le territoire. Vais-je donc approcher ces souvenirs avec hostilité ou peut-on considérer cela comme un duel démocratique, dans lequel les réalités sont acceptées comme des fictions, des fictions dotées de pouvoir, capables de s’amarrer — peut-être quelque peu à contrecœur —dans un port pour faire relâche de leurs obligations de logique, de règne, de juridiction ? Peuvent-elles alors faire la rencontre de leurs possibles successeurs ?
Puisque cet article trame conjointement un roman, un texte explicatif et des preuves visuelles, il met en œuvre ce qu’il avance, à savoir que la réalité est simplement une fiction qui se manifeste, appelée dans ce contexte Fiction Active, activée et présentée en étant adoptée par une structure de pouvoir. La Fiction Dormante est un système logique qui peut ou ne pas se transformer en fiction active selon qu’elle est adoptée par un réseau de pouvoir ou pas. La réalité est un état d’existence dans une arène de mise en acte fictionnelle. La réalité n’est pas l’opposé de la fiction. Ce n’est pas la non-fiction.
Il serait peut-être possible d’envisager une forme de discours à propos de la fiction constructive à travers une discussion autour de nos souvenirs et de nos futurs négociant le même lieu dans un cycle de fictions actives et dormantes. Cela permettrait de proposer un autre « même lieu », qui offrirait une multitude de modalités habitables et non-violentes, ouvrant sur une florissante croissance en-dehors de la démocratie.
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Vidéo ci-dessous : Raafat Mazjoub, E7, 2014
3Deux femmes s’aidaient mutuellement à ajuster leur foulard scintillant à la porte de l’escalier qui conduisait sur le Midan. L’une d’entre elles cria « Courgettes, capotes, Mahmoud Darwich… Quelqu’un a besoin de quelque chose du monde extérieur ? » Elles disaient à tous ceux qu’elles rencontraient ensemble qu’elles avaient toutes deux oublié comment elles s’étaient rencontrées. C’était, bien entendu, un mensonge. Elles s’étaient rencontrées à l’Horeyya, un café appelé Liberté dans le centre du Caire, alors qu’Amira était à la recherche de touristes à baiser. Amira trouvait la bite égyptienne trop pâle. Il faut dire qu’elle était hypocrite. Elle ne jouissait qu’à l’aide de ces mêmes parties génitales cairotes basanées qu’elle repoussait ; pourtant elle continuait à chercher de luisantes aventures pubiennes blondes à chevaucher.
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II. Le Khan : L'association arabe pour le prototypage des pratiques culturelles
5Tout au long du processus d’écriture du Jardin parfumé, il est apparu nettement que cet « autre » monde construit aurait besoin d’une puissance dirigeante, une entité organisatrice. C’est pour cette raison que le Khan est né. Mentionné plus d’une centaine de fois dans le roman, le Khan, enregistré comme association au Liban sous son appellation officielle de Le Khan : association arabe pour le prototypage de pratiques culturelles (The Khan: The Arab Association for Prototyping Cultural Practices), est la matérialisation de la fiction du Jardin parfumé rendue active. C’est un espace pour la recherche politique et des projets urbanistiques qui s’ancrent dans l’acte d’écriture comme architecture.
En approfondissant Le Khan, nous pouvons explorer la poésie de la méthodologie, englobant tous ses projets et lui-même comme une monnaie, dont la répétition, le tissage et le recouvrement augmentent sa valeur et activent sa fiction.
L’institution du Khan comme entité officielle permet à cette performance d’entrer et d’explorer le domaine du transactionnel, l’économie de la fiction et donc de mettre en lumière la monnaie, à la fois littéralement et conceptuellement. En approfondissant Le Khan, nous pouvons explorer la poésie de la méthodologie, englobant tous ses projets et lui-même comme une monnaie, dont la répétition, le tissage et le recouvrement augmentent sa valeur et activent sa fiction. La lecture de l’Oublieuse mémoire de Maurice Blanchot au prisme des Fictions Actives et Dormantes renforce la valeur de cette poétique. « La poésie remémore ce que les hommes, les peuples et les dieux n’ont pas encore par souvenir propre. »
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6Emmène-moi à Hamra », dit Horreya, « il faut que l’Hadja fasse un souhait.
Je m’intéresse à la poésie dans l’économie de la fiction. Et en adoptant la position de Blanchot sur la poésie, l’économie qui m’intéresse est composée d’une trame tissée d’artefacts actifs qui lui sont propres, sans cesse régénérés et racontés à nouveau, plutôt que de la ruine d’un autre système dont on rappellerait le souvenir. Ce qui est produit dans ce cas ne serait pas un réseau monétaire ou une interprétation de la fiction, mais bien la production d’une monnaie en dehors du capitalisme.
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4Amira et Horreya sont deux personnages d’une fiction qui tente de se transcender elle-même. Le Jardin parfumé : une autobiographie d’un autre monde arabe [The Perfumed Garden: An Autobiography of Another Arab World] n’est pas un roman qui cherche à être imprimé et lu, mais plutôt publié (rendu public). En performant une « autobiographie », il met en œuvre un registre de choses censées être survenues dans une « autre » version d’un lieu qui est le monde arabe. Il pense ses frontières comme différentes de celles de l’original, et revendique un territoire, un public.
Le "Jardin parfumé" s’affronte à des fictions telles que le Mémorandum sur le Futur de la Palestine, l’accord Sykes-Picot et d’autres propositions qui revendiquaient des territoires en s’associant au pouvoir.
Dans le Jardin parfumé, les frontières géopolitiques, assignées par les fictions actives des puissances coloniales et mandataires européennes, qui contrôlaient le monde arabe jusqu’à une époque aussi récente que le milieu du xxe siècle, ne s’appliquent pas. Elles sont activement remises en cause à chaque avancée du récit. Le Jardin parfumé s’affronte à des fictions telles que le Mémorandum sur le Futur de la Palestine, l’accord Sykes-Picot et d’autres propositions qui revendiquaient des territoires en s’associant au pouvoir. Le Jardin parfumé ne colporte pas ce rôle de victime impuissante qui caricature et maintient les Arabes dans l’autosatisfaction, mais rentre aussi en conflit avec le nationalisme arabe, le panarabisme, et d’autres nostalgies toujours vivaces pour des âges d’or arabes successifs, quoique lointains.
Alors que la Fiction Active du Jardin parfumé semblerait plaider en faveur d’un monde arabe comme nation unique, ce que cette fiction tente d’avancer est l’absence de frontières comme terrain, opposée à l’unité sans frontières. Dans Le Jardin parfumé, cet écart entre les anciennes frontières et les tissages proposés, et la différentiation entre un terrain débarrassé de tout obstacle et une unité consensuelle fait place à une discussion à propos des frontières des soi-disant réalités et l’effet potentiel de leur absence. Il permet aux personnages, cet autre monde, et à moi-même en tant qu'artiste, de performer la réalité jusqu’à ce que la réalité du monde actuel s’exécute.
Cette performance est ce que « l’écriture comme architecture » définit. Elle emprunte à l’architecture la relation intime entre le carnet de croquis et le monde « réel » ou « manifesté », dans lequel un architecte dessine pour bâtir une structure en public, opposé au croquis pris comme produit final. Et elle emprunte à l’écriture une façon de librement convoquer les concepts qui ne se conforme pas à la gravité ou à n’importe quelle « réalité » contraignante. L’écriture comme architecture devient un modèle d’énonciation de la fiction constructive, une faille qui procure une capacité d’agir au sein des structures de pouvoir existantes destinées à éliminer les fictions qui ne se conforment pas à leurs règles : pour expulser les Fictions Dormantes avant qu’elles ne deviennent des menaces.
Et c’est ici que la trame devient importante. Pour concurrencer une Fiction Active, qui jouit de bonnes relations depuis la salle à manger du foyer domestique jusqu’au domaine des prérogatives gouvernementales, les Fictions Dormantes doivent créer des réseaux et se renforcer par leur adéquation à la vie quotidienne. Un texte seul ne suffit pas. Pour avoir quelque effet sur le paysage et gagner en visibilité, une fiction doit se doter d’une trame obstinée qui par la suite viendra l’engendrer davantage, la gouverner et la soutenir.
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III. La fontaine aux souhaits
7De jeunes cireurs de chaussures nettoyaient chaque jour le corps blanc de la fontaine aux souhaits de Hamra. Les garçons vidaient des seaux d’eau et récuraient son corps vieillissant en utilisant les accessoires de théâtre du Masrah Al Madina juste à côté. Luisant de sueur, Mohamad, Ahmad et Mustapha allaient à tour de rôle chaparder des fragments de ce qui restait de glamour dans la salle souterraine en ruine.
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8La Fontaine aux souhaits, en tant qu’installation artistique introduisant un objet accessible et performatif dans le public, pose le problème de cette monnaie dans le Beyrouth du xxie siècle, une ville que le romancier libanais Elias Khoury décrit comme une « ville de réfugiés ». Pour autant que cela soit vrai, c’est une ville intimidante qui repousse les gens. Beyrouth est entourée d’une ceinture d’enclaves ethniques, religieuses et socio-économiques de réfugiés, de migrants et de citoyens déplacés. Avec plus d’un million de réfugiés syriens entrés au Liban depuis le début du conflit, (sachant que la population libanaise totale est de seulement 5 millions, dont 1 million vit en-dessous du seuil de pauvreté) Beyrouth est devenue encore plus intimidante. La ville fonctionne sur les reliquats d’une Fiction Active postcoloniale et post-mandataire paralysante par laquelle elle s’inscrit au sein d’un État marchand capitaliste, très raciste et hiérarchisé.
La posture fondamentale des Beyrouthins et des Libanais en général est un complexe de supériorité vis-à-vis des autres Arabes, suggérant même que l’arabité libanaise est complètement sujette à débat, proposant une fiction plus cosmopolite à la place. On parle parfois de Beyrouth dans la communauté internationale comme du « Paris du Moyen-Orient », etc. La situation est complexe, et quand cette fiction est remise en cause par une situation qui exige de l’empathie envers ces fameux autres Arabes au prix du confort personnel, les choses tournent mal. L’arrivée de réfugiés syriens ne faisait pas bonne impression à Beyrouth.
La "Fontaine aux souhaits" fut installée alors que les rues, déjà surchauffées, connaissaient une recrudescence d’agressions physiques et verbales entre la ville hôte, sa population et les réfugiés.
La Fontaine aux souhaits fut installée alors que les rues, déjà surchauffées, connaissaient une recrudescence d’agressions physiques et verbales entre la ville hôte et sa population d’une part et les réfugiés, qui tentaient tant bien que mal de survivre en l’absence de toute infrastructure. Il est difficile de déterminer comment gérer une telle situation dans le contexte libanais, dans lequel la crise des réfugiés palestiniens manifeste l’échec d’un scénario dont souffre le pays ; en partie parce qu’elle est brandie comme une étude de cas montrant que personne n’est le bienvenu, indépendamment de la vérité que dissimule l’hostilité.
Beyrouth présente un exemple intéressant de scénario dans lequel plusieurs Fictions Actives conflictuelles coexistent au sein du même lieu et s’affrontent sans cesse pour gagner du terrain. Pour mieux comprendre, on peut se représenter les Fictions Actives comme des objets flottant sur une étendue d’eau trop étroite pour tous les contenir. Ces objets possèdent des espaces et des flottabilités qui dépendent de leur taille et de leur forme. Des formes irrégulières et imparfaites laissent entre elles des interstices qui, s’ils se remplissent de nouveaux objets, peuvent complètement modifier le paysage. Ces nouveaux objets peuvent être insérés dans cette constellation depuis l’extérieur de cette surface liquide, ou peuvent se mettre à flotter en remontant des profondeurs, là où les Fictions Dormantes sont immergées, en attente d’un possible courant ascendant.
Cette représentation imagée est utile en ce qu’elle clarifie et complexifie l’idée de Fictions Actives et Dormantes. D’une part, elle nous permet de visualiser le scénario pour lequel les objets visibles dominants (flottants) d’un certain environnement évoluent quand d’autres objets flottants concurrents sont introduits. De l’autre, on ne peut éviter de se demander pourquoi ces objets flottants ont été choisis comme Fictions Actives et ceux qui sont immergés comme Dormantes. On ne peut ignorer que les propriétés de l’eau, les matériaux qui composent les objets et ce qui contient l’ensemble font probablement partie de cette Fiction Active, et que les objets flottants comme les immergés sont inclus dans cette logique.
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9Mais quand pouvons-nous remettre en cause la gravité ? La gravité est-elle une Fiction Active, puisqu’on introduit l’environnement dans l’équation ? Une Fiction Dormante peut-elle être activée et mettre la gravité en sommeil ?
Plutôt que de donner des réponses, le présent travail vise à créer une situation dans laquelle on parle de fictions actives ou dormantes, un contexte dans lequel la non-fiction est non existante. Les Fictions Actives et Dormantes ne se préoccupent ni l’une ni l’autre de vérité, de référence, ou de la vérité comme référence. Elles sont des lorgnettes par lesquelles nous pouvons lire les constructions, et des méthodes que nous pouvons employer pour créer de nouvelles constructions. Ce sont des façons de voir qui reconnaissent la capacité d’agir. Et ce sont des façons de faire qui reconnaissent leur capacité d’agir dans le changement du paysage.
Et si nous revenons à notre métaphore des objets flottants et immergés, nous pouvons comprendre l’ensemble du système comme une entité logique qui est modifiable, plutôt que de penser à chaque objet comme à une Fiction Active ou Dormante en elle-même. Nous en déduisons, au moins provisoirement, qu’un objet isolé ne peut être une fiction, et que les fictions sont des systèmes modifiables et négociables. Nous postulons aussi qu’une de ces techniques de modification est l’introduction d’objets appartenant à une autre fiction, ou d’objets ayant d’autres formes, ou d’objets inadaptés, dans les interstices entre les objets existants d’un système donné pour déclencher une forme de changement. Et c’est là où La Fontaine aux souhaits entre en jeu.
Nous postulons aussi qu’une de ces techniques de modification est l’introduction d’objets appartenant à une autre fiction, ou d’objets ayant d’autres formes, ou d’objets inadaptés, dans les interstices entre les objets existants d’un système donné pour déclencher une forme de changement.
Quand La Fontaine aux souhaits affronte le système capitaliste, elle reconnaît que le système est une construction et simultanément elle négocie une alternative en proposant sa propre fiction alternative. Elle ne s’effraie pas d’être une œuvre d’art, mais acquiert de l’importance politique en étant constitutive d’une fiction plus large. Sa présence et sa récurrence augmentent la valeur de sa propre monnaie, et de la monnaie de son système. S’appuyant sur un système, Le Jardin parfumé, et gouverné par une infrastructure, Le Khan, une sculpture dans la rue possède davantage de pouvoir pour habiter l’interstice et faire des ricochets qui peuvent au moins commencer à bousculer les fictions actives actuelles.
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Vidéo : Shoe shining boys trying to make sense of The Wishing Fountain, Raafat Mazjoub 2017
Vidéo : The Wishing Fountain, Raafat Mazjoub with Samah Abilmona, 2014
10Hamra évolue avec des bandes de jeunes garçons qui tour à tour déclenchent la pitié d’hommes ayant grandi au son de « Batwannes Beek » et de femmes ayant grandi avec l’idée qu’il ne fallait pas se laisser avoir facilement. « Je te souhaite la santé », disent-ils aux vieux. « Je te souhaite de t’enrichir », disent-ils aux miséreux. « Je te souhaite de réaliser tes rêves », disent-ils aux jeunes. Ils vendent des souhaits aux masses, en échange de pièces et de conversations.
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11Étrangère aux manifestations quotidiennes de la fiction au sein de laquelle elle se trouve, La Fontaine aux souhaits devient un spectacle. Une sculpture blanche qui ressemble à une mendiante avec une flaque d’eau sur les genoux devient un spectacle. Une pancarte juste à côté indique : Faites un vœu et lancez une pièce sur les genoux de La Fontaine aux souhaits. L’argent est public. Si vous voulez en prendre, c’est à vous. En anglais et en arabe. Le nom hybride du projet, (The Wishing Fountain - مال عام) qui est aussi inscrit sur le panneau à côté de la fontaine, se comprend pour le locuteur arabe (ne parlant pas anglais) comme « argent public », ce qui signifie مال عام.
L’argent est public. Si vous voulez en prendre, c’est à vous.
Un objet dans une ville ne satisfait pas chacun de la même façon. D’un côté, satisfaire n’est pas une description appropriée de son action en public. La Fontaine aux souhaits, comme tout objet en public, existe. Elle existe avec des particularités et des possibilités qui offrent une chorégraphie, comme tout objet en public. Ce en quoi la fontaine diffère, c’est qu’elle propose une chorégraphie en dehors de celle qui existe.
La Fontaine aux souhaits incarne et met en œuvre la fiction du Jardin parfumé, et non la fiction du Beyrouth tel qu’il est. Elle ne se plie pas aux règles de zonage de Beyrouth, et contrairement aux devantures très marquées des rues commerçantes, son expérience n’exige pas de contrepartie. La Fontaine aux souhaits n’est pas attachée au sol et n’est pas surveillée.
Cette interruption a débouché sur une négociation longue d’un mois sur l’espace entre deux fictions. Selon les changements de ceux qui en étaient partie prenante, le spectacle a été tour à tour bruyant et silencieux, universitaire et malin (selon les codes de la rue), passant des informations généralistes aux histoires relayées par les médias sociaux. Une des choses qu’on pouvait retirer de l’expérience était que même lorsque le récit « complet » n’était pas « compris », le projet ne perdait pas sa puissance. Au contraire, il agissait à différents niveaux d’implication.
Les médias locaux et généralistes avaient plutôt à cœur d’enrober ce projet par un récit « activiste », avec des gros titres du genre « Un artiste crée La Fontaine aux Souhaits d’Hamra au bénéfice des mendiants » (Trad 2014) et « L’art interactif au secours des nécessiteux » (Nehme 2014). Des enfants travaillant illégalement dans la rue comme mendiants ou comme cireurs de chaussures convertirent la fontaine en autel, élaborant leurs propres histoires autour d’elle, les racontant aux passants et invitant les gens à faire des vœux, s’assurant toujours que la fontaine restait propre et prenant soin de celle-ci en établissant leur propre économie autour d’elle. Les travailleurs domestiques faisaient la queue pour y faire des vœux, à un moment ou un autre de leurs sorties dominicales. « Beyrouth : corps en public », un atelier de trois jours sur l’espace public à Beyrouth fit de la fontaine un support pour un de ses panels. Des musiciens locaux faisaient la manche devant elle, l’utilisant pour récolter de l’argent public.
Une de ces artistes de rue est Sandy Chamoun, une jeune chanteuse de Tarab beyrouthin qui fait plusieurs apparitions dans le monde du Jardin parfumé. Outre faire la manche en chantant devant La Fontaine aux souhaits, Chamoun joue Rayya, un personnage de La Maison de plage, dont le scénario est partiellement influencé par Le Jardin parfumé et réciproquement. Alors qu’elle s’appropriait la fontaine pour une après-midi, se l’arrogeant pour effectuer une performance informelle, elle s’était fait une idée de la pertinence de celle-ci dans la rue. « Ce sont les souhaits [pour le futur] et pas l’argent qui importent ici », dit-elle, les yeux sur La Fontaine aux souhaits, « je ne sais pas pourquoi les journaux t’interrogent toujours à propos de l’argent. » Peu impressionnée, et pourtant consciente de l’engouement des médias généralistes à créer des héros et à les abattre en temps réel, elle poursuit : « est-ce qu’il s’agit vraiment d’argent ? »
Le vœu, comme action, projetant une réalité alternative au moyen de l’imagination n’est pas un élément typique de la désignation du public. Le public est généralement une autre frontière, une autre délimitation, qui offre une échappatoire commune à la possession. C’est-à-dire une échappatoire temporaire, parce que la possession dans la Fiction Active actuelle du capitalisme est la force définitoire de l’être.
Avec La Fontaine aux souhaits (Beyrouth, 2014) Le Khan matérialise en partie cet autre monde, Le Jardin parfumé, au sein d’une Fiction Active à laquelle il n’appartient pas : la ville policée de Beyrouth, la capitale de la République du Liban qui est séparée sur la carte de sa voisine, la République arabe de Syrie, par une ligne brisée qui serpente depuis la Méditerranée vers l’est, à travers le désert, puis vers le sud, avant de tourner à nouveau vers l’ouest, marquant sa ligne de séparation avec la Palestine occupée. Dans Le Jardin parfumé, cette ligne n’existe pas. L’absence de frontière affranchit La Fontaine aux souhaits des dangers de la possession. Les vœux qu’on y fait restent propriété de ceux qui les font. Et l’argent sur les genoux de la fontaine est la propriété de tous.
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IV. Tarab, séduction poétique et transe comme forme politique.
12 Dans le paysage des choses que La Fontaine aux souhaits cherche à réaliser, comme la modification d’une réalité au moyen d’une autre, la mise à disposition des réfugiés d’un monument dans la ville, la mise en concurrence avec le concept d’argent comme pénurie, et le paysage des perceptions et des performances qui émergent de cette fontaine alors que différents intervenants s’en emparent pour l’intégrer à leur histoire, la particularité sur laquelle je voudrais me pencher est sa capacité à susciter le Tarab.
Le Tarab, est un état de transe et d’extase généralement induit par la musique, mais aussi employé comme métaphore pour des émotions intenses (joie ou tristesse), représente une force ayant fait partie de ma recherche tout au long de mon travail sur Le Jardin parfumé. J’ai choisi le Tarab comme puissance supérieure parce qu’au-delà des divisions raciales, ethniques et sociales de Beyrouth (Beyrouth quand je parle de La Fontaine aux souhaits, mais cela s’applique au reste du monde arabe), le Tarab est une des rares choses qui peuvent être décrites comme dénominateur commun de sa population.
Par la chair de poule, la langueur et les vagues de transcendance émotionnelle que procure le/la "Motreb/a", l’interprète du Tarab, cette musique est capable de raviver les souvenirs ou d’en bâtir de nouveaux.
C’est une chose qui fait passer les gens d’un état à l’autre, entre les réalités qu’ils perçoivent et les fictions possibles, qu’ils postulent. Par la chair de poule, la langueur et les vagues de transcendance émotionnelle que procure le/la « Motreb/a », l’interprète du Tarab, cette musique est capable de raviver les souvenirs ou d’en bâtir de nouveaux. Le Tarab peut permettre de parler de la poésie de l’économie de la fiction que nous évoquions plus haut. Dans le processus d’écriture comme architecture, et la diversité croissante de formats (de production culturelle) qu’implique ce processus, il est essentiel de parvenir à déterminer et exploiter un dénominateur commun qui relie tous ces formats entre eux.
La géographie du Tarab n’est pas délimitée par les fictions géographiques. De nombreu·ses chanteur·ses arabes de Tarab sont des noms familiers à travers tout le monde arabe. Près de quatre millions de personnes se rendirent aux funérailles de l’égyptienne Oum Kalthoum (1904-1975) — quasiment la population du Liban — et plus de personnes manifestèrent leur deuil que pour les obsèques de Gamal Abdel Nasser (1918-1970), le second président égyptien. Nasser, dont le principal projet était d’unir le monde arabe, fut un dirigeant dont la fiction devait conduire les Arabes à se sentir plus proches que jamais d’une dignité commune (temporairement), et cela en opérant des changements sur le paysage, plus concrets que métaphoriques. Il nationalisa le Canal de Suez, par exemple, et fit la guerre à Israël.
A son époque, Abdel Nasser employa le Tarab comme outil politique. On dit qu’« entre 1952 et 1960, Oum Kalthoum interpréta plus de chansons nationalistes qu’à n’importe quelle autre époque de sa vie ; elles composaient presque 50 % de son répertoire, et environ un tiers de son nouveau répertoire après 1960. » (Danielson 1997). Après la défaite égyptienne au cours de la guerre de 1967 contre Israël, Oum Kalthoum partit en tournée dans tout le monde arabe pour renforcer l’orgueil national et la fierté arabe, qui étaient au plus bas. Elle sollicita des paroles pour ses chansons auprès des poètes de chaque pays qu’elle visita, et donna des concerts de charité, récoltant plus de deux millions de dollars pour le gouvernement égyptien. Ses « concerts du mardi », diffusés à la radio le premier mardi de chaque mois, vidaient les rues des millions d’Arabes qui allaient se coller à leurs récepteurs (Racy 2003, 73). Abdel Nasser est connu pour avoir minuté certains de ses discours en fonction de ces concerts. Oum Kalthoum elle-même a décrit cet état de maitrise et d’évocation qu’elle connaissait en interprétant du Tarab : « comme si j’étais à l’école, et que les auditeurs étaient des élèves. » (ibid., 59 ; 64).
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13 C’est un endroit où chacun d’entre eux jouait d’un instrument. Chacun de leurs parents, comme la plupart des parents de leur époque, pressait leurs enfants de jouer de quelque chose. Il ne s’agissait pas de réjouissances sociales, de festivités de salon, mais plus d’une nécessité. Pourquoi ? La guerre. On peut mettre n’importe quoi sur le compte de la guerre au Liban — coupures électriques, Botox, pollution, chômage, voisinage bruyant, manifestation, homosexualité, la grippe et bien entendu l’envie des parents d’avoir une descendance musicienne. Iman jouait du violon. Marcel de l’oud. Omar jouait du piano. Thurayya jouait de la harpe. Ahmad voulait jouer de la batterie. Le saxophone était plus apaisant, disait sa mère. Tous, alors pré-pubères, jouaient pour le compte de leurs parents, grands diffuseurs de nicotine, alors que tous les foyers se préparaient au pire. Alors que les foyers achetaient plus de pain qu’ils ne pouvaient en avoir l’usage. Alors que les foyers perdaient la guerre.
On peut mettre n’importe quoi sur le compte de la guerre au Liban — coupures électriques, Botox, pollution, chômage, voisinage bruyant, manifestation, homosexualité, la grippe et bien entendu l’envie des parents d’avoir une descendance musicienne.
Ils ne jouaient jamais en dehors du domaine de leurs mères, de leurs pères, de leurs oncles et de leurs tantes. Ils ne jouaient jamais pour eux-mêmes. En grandissant, leurs instruments ne leur rappelaient rien d’autre que les balles à blanc de tout ce qu’ils pensaient devoir arriver. Le confort, revisité. Un meilleur futur, négocié. Une guerre qui ne les concernait pas. Ils ne jouaient jamais au son des canons qu’ils éreintaient. Ils ne répétaient jamais. Ils fumaient avant d’avoir de la poitrine. Ils fumaient avant que leurs barbes ne se peuplent. Ils regardaient mutuellement leurs instruments à travers des fenêtres surplombant des fenêtres, par des balcons faisant face à d’autres balcons. Ils avaient toujours été voisins, mais ils ne se rencontrèrent qu’après qu’Omar eut poussé le piano hors du balcon.
C’était une journée froide quelque part à Beyrouth. Où à Beyrouth, ça n’aurait pas d’importance, puisque chaque quartier se fond en arrière-plan quand on le compare avec chacune de ses sœurs, puisque chaque quartier affirme que c’est différent. Omar venait de demander à la fille que son père avait choisie pour être sa femme si elle était vierge, dans le salon, exactement à l’endroit où il avait joué du piano pour apaiser les traumatismes de chacun de ses parents depuis l’âge de sept ans. Son père le gifla alors que les parents de la fille blêmissaient. Il n’allait de toute façon pas l’épouser. Omar se leva, et se mit en place, comme à chaque fois qu’il s’apprêtait à jouer. Omar sourit. Omar, que tout le monde suivait de leurs yeux las d’un deuil récent, ouvrit l’auvent avec la plus grande tranquillité, se plaça derrière le piano à queue de son grand-père et le poussa de toutes ses forces. Le piano crissa sur le sol de la terrasse qui se trouvait sous ces tapis ancestraux. Le piano se redressa. Le piano bascula par-dessus la balustrade du balcon. Le piano tomba. Omar demeura immobile, regardant le piano dans sa chute. Le piano produisit la meilleure des musiques en tombant, la meilleure musique quand il tomba.
Novembre n’aurait pas pu empêcher n’importe quel quartier de Beyrouth de se dresser sur ses balcons, pensant que rien ne pouvait venir perturber leurs pâles existences. Tout le monde sortit. Iman sortit. Marcel sortit. Thurayya sortit. Ahmad sortit. Chacun sur son balcon regarda le piano transformé en une pile de ses morceaux devant l’immeuble et Omar qui souriait sur son balcon. Omar avait gagné. Omar resta là, debout, pendant un moment, puis tourna le dos à la balustrade, traversa le balcon et la maison. Omar quitta la maison où il avait vécu pendant 25 ans comme si c’était la première fois qu’il sortait. Il descendit les escaliers, puis dans la cour où reposait le piano à queue de son grand-père. Dans sa tête, le grand portrait de son grand-père souriait pour la première fois de sa vie en noir et blanc, et devant lui, à côté du piano, un violon brisé, un oud brisé, une harpe brisée, un saxophone brisé, et quatre camarades. Ils se sourirent, chacun sachant qu’il ne remonterait jamais plus.
Ils s’éloignèrent, et alors qu’ils s’éloignaient toujours davantage, ils pouvaient entendre les postes de télévision qu’on rallumait, et de la musique pré-pubère pas très différente de la leur.
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14Le Jardin parfumé est conçu à partir de cette idée d’être une tranche temporelle, plutôt qu’un commencement, un climax et une fin. Les personnages ne sont pas des héros qui savent ce qu’ils font à tout moment, mais semblent aller et venir, comme s’ils passaient par là et qu’ils faisaient une apparition dans le viseur de l’appareil alors que le photographe (ici l’auteur et le lecteur) prend la photo qu’il veut. Dans ce cadre, il se passe beaucoup de choses entre le désir et l’action visée, entre vouloir une image particulière et le déclic. Des personnages indécis séduisent le photographe jusqu’à ce qu’il oublie, un million de fois, l’image qu’il recherche. Soit il presse le déclencheur pour prendre la photo sans avoir avancé la pellicule, ou il oublie complètement d’appuyer.
Ces personnages indécis transcendent les limites du viseur, deviennent plus intéressants que l’image finale, et paraissent — en contrepartie du divertissement et de la perplexité qu’ils induisent chez le photographe — attendre un certain divertissement et une certaine perplexité en retour. Le photographe (ici, l’auteur), au lieu de prendre une photo, introduit des objets qui interrompent le défilé de ces personnages à travers son viseur. Il introduit des objets qui les font venir plus souvent ou partir pour toujours. Il met des choses dans l’image qu’ils n’ont jamais vues, et les observe apprendre à s’en servir, les adopter ou les délaisser.
L’image elle-même perd son importance. La raison pour laquelle au départ on tenait l’appareil, on cadrait, on calibrait et on attendait, évolue. Les personnages indécis et changeants du "Jardin parfumé" exigent une mise en scène flexible pour pouvoir s’épanouir.
L’image elle-même perd son importance. La raison pour laquelle au départ on tenait l’appareil, on cadrait, on calibrait et on attendait, évolue. Les personnages indécis et changeants du Jardin parfumé exigent une mise en scène flexible pour pouvoir s’épanouir. L’autre monde arabe qui est conçu dans Le Jardin parfumé et qui visait au départ à créer la fiction d’une nation comparable au panarabisme de Nasser n’a plus cours. Les personnages exigent donc un autre monde arabe.
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15Pour cette première édition d’Unus Mundus, cinq monuments invisibles furent annoncés. Chacun représentait un point d’intersection entre deux villes. Chaque intersection incarnait une modification des réalités naturelles et géopolitiques du monde arabe, créant des sauts, des raccourcis, ou des trous de vers entre deux points qui étaient sinon très éloignés l’un de l’autre. Ces trous de ver avaient été utilisés par les gens de Khan El Thawra pendant des siècles, et annoncer qu’ils constituaient le premier ensemble de monuments revenait à manifester l’unité physique et figurée d’une génération arabe qui allait tout changer ; matérialiser des liaisons, bâtir des ponts, former des tunnels de communication et de collaboration dans une proposition de chantier pour demain. « Ha ha ha ha ! » Le Dr Baz n’était pas impressionné par toute cette « connerie » d’unité, comme il tenait à l’appeler. « Les liaisons, les ponts, les tunnels et les chantiers de demain, vous dites ? » Elle attrapa sa mallette et quitta la pièce. Le Dr Baz faisait partie des icônes de la population de Khan El Thawra. Comme n’importe quel docteur, elle en était arrivée à en avoir assez des gens dans le besoin, et ce qui avait autrefois été une empathie florissante s’était changée en un répertoire bien fourni et débordant de satire non sollicitée.
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16 Tous les personnages du Jardin parfumé n’ont pas forcément entendu parler du Khan, ne sont en accord avec celui-ci, ou servent de mascottes pour Le Jardin parfumé, faisant étalage de sa célébrité. Un grand nombre d’entre eux sont basés sur des gens observés alors qu’ils pénétraient dans la fiction du roman d’une façon ou d’une autre, et conservent leurs caractéristiques dans Le Jardin parfumé. Ce sont les gens qui, par leur être, deviennent agents de leurs propres fictions dans Le Jardin parfumé. Sandy se montre amicale avec la vague de jeunes gens qui la laissent s’identifier à ce qu’elle veut. Son personnage, Rayya, serait aussi amicale avec eux. Le lien entre Sandy et Rayya : le performé (Sandy), le plan (Le Jardin parfumé) et le joué (Rayya) composent une forme de poiesis, la procréation d’une fiction active par un tissage qui ne nie pas la capacité d’agir de ses composantes. Et en rentrant en concurrence avec la fiction de la géopolitique actuelle, elle propose en fait une nouvelle citoyenneté, une forme d’appartenance malléable dans laquelle il s’agit moins de définition paramétrique (passeport) que d’avoir de l’espace à démêler. En conséquence, les frontières de cet autre monde arabe n’ont à voir ni avec l’unité ni avec le terrain. Au lieu de frontières, elles ressemblent à des membranes cellulaires qui, par proximité, se lient plutôt que de délimiter, et vont similplacer — un concept auquel nous nous intéressons par la suite — plus que coexister.
On pourrait dire, dans le contexte de la production de l'espace par la fiction constructive et les cycles de fiction Active et Dormante, que nos souvenirs et le "similplacement" pourraient devenir un moyen d'avancer une multitude de possibilités habitables et non-violentes, qui nous permettraient de grandir et de nous épanouir en-dehors de la démocratie.
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Image centrale : The Beach House, image du film, Roy Dib, co-auteur Rafaat Mazjoub, 2016
17 Hamra ne se montre pas amicale avec la vague de jeunes hommes qui font d’elle ce qu’elle est. Mohamad, Ahmad et Mustapha sont de ces enfants qui ont eu la chance d’un physique avantageux, armure inestimable pour la survie en ces lieux. Les garçons joyeux et brillants reçoivent des ecchymoses et se mettent à boiter, d’un simple revers de la main, d’un coup de pied ou de poing dans le ventre. Les gens n’aiment pas les garçons moches qui mendient. Les gens n’aiment pas entendre parler des problèmes des autres, sinon quand ils peuvent se servir d’eux comme un piédestal sur une scène d’où ils peuvent parler de leurs propres problèmes.
En route vers la Fontaine aux souhaits, l’Hadja demeura silencieuse. Elle regardait par la fenêtre la ville mouvante qui change chaque jour. Elle avait quelque peu changé depuis qu’elle l’avait vue pour la dernière fois et changera toujours, qu’elle la regarde à nouveau ou pas. C’est inévitable. Les cafés qui prêtaient l’oreille aux secrets des futurs grands-pères pendant leur jeunesse ne s’attardaient pas pour écouter ceux de leurs petits-enfants. L’Hadja se demandait s’il était plus facile de faire porter la responsabilité de la désintégration de la ville à un oppresseur, comme pour sa ville natale dans le sud. Beyrouth ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même.
« Tu as raison », l’interrompit Horreya, « Beyrouth ne peut s’en prendre qu’à elle-même — et toi aussi. »
Elle donna à l’Hadja une pièce de 500 lires et ouvrit la porte. Hekmat avait garé la voiture près de l’immeuble Saroulla, juste à côté de la fontaine. Mohamad ouvrit la portière, découvrant la statue blanche d’une femme, avec une tête ressemblant à celle du sphinx, assise en tailleur sur le trottoir. Sur ses genoux, un léger écoulement alimentait un petit bassin rempli de pièces, de billets et de souhaits. Deux jeunes filles s’assirent près d’elle. L’une regarda l’Hadja et tendit son petit bras et ses petits doigts vers elle, « Hadja, Hadja ! viens faire un vœu ! »
Elle s’exécuta, sortit de la voiture et s’avança vers la fontaine. Son abaya colorée flottait autour d’elle, agitée par le vent, alors qu’elle fixait la petite flaque d’eau au centre de Hamra. Un passant préleva un billet des genoux de la fontaine aux souhaits, l’agita en l’air pour le sécher tout en s’éloignant. Horreya ferma la porte et fit un signe vers l’ouest. Hekmat conduisait.
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Ci-dessous, vidéo : Frida makes her wish stresslessly, Raafat Mazjoub, 2014
V. Hekmat, un concierge et un interlocuteur entre les fictions
18En s’essayant à une première tentative de définition du concept de similplace, un terme introduit dans ce texte comme substitut et interlocuteur dans une conversation entre certaines idées, Hekmat vient à l’esprit. Hekmat est un personnage du Jardin parfumé toujours en train de conduire. Il conduit principalement des voitures, comme taxi ou chauffeur, mais c’est un élément moteur autant en matière de soutien que de transport. Il est l’un des liens organiques les plus importants dans la vie des personnages principaux du Khan. Il est une force majeure. Hekmat parcourt la distance entre Alexandrie et Tripoli (1500km) en 15 minutes. La sagesse qu’il distille par fragments désamorce les conflits avant qu’ils ne surviennent. Il est l’un des personnages les moins pittoresques du Jardin parfumé, et pourtant la plupart de ceux qui ont lu le manuscrit s’identifient assez nettement avec lui.
Intrigué par cette expression, sa manifestation potentielle comme interlocuteur de la fiction active du Jardin parfumé, et par l’utilisation d’Hekmat comme outil pour comprendre l’idée de similplace, j’ai décidé de l’explorer plus avant. J’ai commencé à créer des lieux où je pouvais jouer Hekmat, et c’est ainsi que les chambres d’hôtel du Khan ont commencé.
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19Omar et Thurraya pénétrèrent dans la voiture et la première chose qu'Omar pensa perdre était sa raison, dont la valeur en tant qu’actif allait être évaluée et réévaluée au cours de ce voyage. Alors qu’ils se mettaient en mouvement, Thurraya se pencha de tout son long depuis la banquette arrière pour tourner le bouton de la radio, faisant défiler les stations FM. « Qu’est-ce que tu cherches ? », lui demanda le chauffeur. Thurraya continua à chercher jusqu’à ce qu’elle tombe sur « Askiniha », une ballade interprétée par l’une des chanteuses les plus controversées de la défunte guilde égyptienne de Tarab, avant de se rassoir sur la banquette. « On aurait pu marcher, c’est tout près, mais ils passent Asmahan à partir de 4 h, et comme tu n’es pas très bavard, autant prendre du bon temps en chemin. » Elle s’alluma une autre cigarette, et une pour le chauffeur. Il sourit, c’était l’effet que Thurraya faisait aux gens, puis il brancha son téléphone à l’autoradio. « Si tu aimes Asmahan, jeune femme, voilà ce qu’il faut que tu écoutes », dit-il alors qu’un enregistrement impeccable de la même chanson démarrait. Thurraya savait tout ce qu’il y avait à savoir sur Asmahan. Elle lisait. Elle écoutait. Elle collectionnait les coupures de texte écrites par des gens qui prétendaient révéler ses secrets. Elle vérifiait les informations. Elle récrivait. « Qu’est-ce que c’est ? », dit-elle les larmes aux yeux. Il ne faisait plus tellement attention à elle à présent. Il écoutait. Il écoutait en tirant de grosses bouffées sur sa cigarette, alors qu’il prenait à droite à la statue commémorative de Gamal Abdel Nasser à Ain elMraiseh, s’écartant de leur trajectoire en direction du Phoenicia. « Qu’est-ce que c’est ? » demanda à nouveau Thurraya, ne sachant pas vraiment si elle s’enquérait du changement de trajectoire ou si cela n’avait pas d’importance en regard de son désir ardent de savoir comment de tels enregistrements existaient et pourquoi elle ne les avait jamais entendus. Le chauffeur lui fit signe de se taire, continua à conduire et prit à droite vers une série d’hôtels. Omar connaissait cet endroit.
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VI. Les hôtels du Khan
20Les chambres d’hôtel « 0 » et « 1 » du Khan, respectivement au Massachussets Institute of Technology (Etats-Unis) et à la Galerie Ravenstein (Belgique) sont des pièces dans la fiction du Jardin parfumé temporairement greffées sur d’autres Fictions Actives. Dans ces pièces — des chambres d’hôtel basées sur des espaces et des évènements du roman — Hekmat fait fonction de concierge. Il accueille les clients et imbrique sa fiction dans leurs mondes. Dans ces chambres, Le Jardin parfumé devient un paysage, comme les vues encadrées du pays natal dans les foyers de la diaspora. La différence est que Le Jardin parfumé est un papier peint textuel, et sa terre d’origine est en cours de construction, et pas un endroit d’où on a émigré.
Dans ces chambres, "Le Jardin parfumé" devient un paysage, comme les vues encadrées du pays natal dans les foyers de la diaspora. La différence est que "Le Jardin parfumé" est un papier peint textuel, et sa terre d’origine est en cours de construction, et pas un endroit d’où on a émigré.
Le papier peint est un élément commun à « 0 » et « 1 ». À chaque itération, il s’agissait d’expérimenter différemment le roman en l’abordant comme un visuel modifiable. De loin chaque papier peint représente un motif floral différent, mais quand on s’approche, on découvre un texte lisible du Jardin parfumé. Dans les deux cas, les papiers se présentent davantage comme des canevas que comme des œuvres d’art intouchables. Des gribouillages inscrits par Hekmat, des visiteurs et des clients modifient le paysage, le prenant comme brouillon, comme prototype.
Ces espaces sont créés pour être des intrus et des hôtes, des générateurs et des documentaires — des incubateurs de Fictions Actives. Ce sont des pièces qui ne peuvent être lues en-dehors des limites systémiques du monde, qu’elles soient sociales, économiques ou juridiques et par conséquent géopolitiques. Comme La Fontaine aux souhaits, ces pièces permettent de pratiquer la dissection. En creusant des brèches entre les Fictions Actives existantes, elles révèlent des frontières et des failles dans un système par ailleurs opaque.
Dans le cas de « 0 », qui en a été la première version, j’ai transformé mon atelier au MIT en espace pouvant être loué par l’intermédiaire de Airbnb. L’espace était meublé au moyen d’objets trouvés et conçus pour que le territoire du Jardin parfumé se manifeste au sein du MIT. Le lit, par exemple, représente la topographie du fond marin dans la zone du bassin levantin, qui est toujours l’objet d’un désaccord sur le champ gazier Léviathan entre le Liban et Israël. Il constitue une invitation à accéder à une frontière inaccessible au moyen du sommeil, le point de collision entre deux fictions géopolitiques actives.
Il est interdit de dormir sur le campus du MIT, probablement pour des raisons de sécurité. L’entrée de personnes extérieures est aussi interdit, ce qui rend « 0 » difficile à gérer dans un système bureaucratique qui gouverne par la peur, la friction et le gaspillage des ressources. « 0 » offrait, par le biais d’Hekmat comme concierge et chaperon, une capsule pénétrante par laquelle des discussions sur l’espace et la fiction pouvaient émerger.
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La chambre d’hôtel « 1 » du Khan, vu du balcon de la galerie Ravenstein à Bruxelles.
Une des pensionnaires de la « 1 » lisant Le Jardin parfumé.
Champs gaziers et pétrolifères en Méditerranée orientale (en rouge, le bassin levantin). US Energy Information Administration, Boundaries Of The Levant Basin, Or Levantine Basin (US EIA), 15 mars 2017.
On voit dans cette image le côté du lit, au-dessus d’une télévision affichant un film de La Fontaine aux souhaits. Sur le poste, une pile de DVD est posée, qui compose une partie de la collection grandissante de films The Khan et un portrait de Gamal Abdel Nasser, l’amant de la grand-mère dans Le Jardin parfumé. A droite, un miroir grossissant reflétant un globe terrestre, avec les frontières du monde arabe effacées à l’aide d’un marqueur, par la même technique servant à censurer les images et les textes « obscènes » dans les magazines de ce monde dans ses frontières actuelles.
21La deuxième itération des chambres d’hôtel, « 1 », était une entreprise bien plus élaborée. Invitée à faire partie du festival Moussem Cities: Beirut à Bruxelles, qui mettait la capitale libanaise à l’honneur, cette pièce fonctionnait comme une performance intrusive somptueuse, oscillant entre les tonalités ludiques, sérieuses et choquantes par lequel passe l’observateur du monde actuel, face à l’évidence de la mort, la migration, les lois xénophobes, l’effondrement des liens et la désillusion devant les fictions du présent.
Le point de départ pour la réflexion sur « 1 » était l’invitation qui était faite à moi, homme arabe de culture musulmane, de venir dans la capitale de l'Union Européenne (UE) déclarer ce que je voulais, représenter, exprimer et généraliser, dans la sécurité de l’infrastructure culturelle et sous protection artistique, pendant que des hommes (et des femmes) arabes comme moi sont privés de leurs droits fondamentaux alors qu’ils et elles fuient des guerres. Non seulement cela, mais l'UE déclenche des opérations telles que « Mare Nostrum », une intervention qui appelle « Notre Mer » la mer traversée par le flux de réfugiés qu’elle cherche à encadrer et organiser, et qui choisit « s’attaquer à » comme le meilleur verbe pour décrire sa relation à ces mêmes gens.
« 1 », une chambre sans toit, constituait une invitation à observer tout ce qui se passait à l’intérieur. En jouant Hekmat, j’ai vécu dans cette pièce pendant deux semaines. Alors que les gens regardaient le concierge arabe d’en haut, Hekmat leur renvoyait leur regard et brisait la dynamique de la surveillance. A ce moment-là, Hekmat avait plus de pouvoir que les gens censés posséder la ville, ses utilisateurs, les habitants de Bruxelles. Etant intentionnellement conçue comme une pièce sous-équipée, « 1 » dépendait d’institutions de substitution pour les routines quotidiennes de base. Hekmat préparait du café dans les bureaux du Moussem, allait aux toilettes publiques de la Galerie Ravenstein, et prenait des douches dans les coulisses du palais des Beaux-Arts de l’autre côté de la rue, comme le faisaient aussi les clients de l’hôtel.
Par ce similplacement, l’affiliation à la fiction active du "Jardin parfumé" jouissait de plus de visibilité.
Par ce similplacement, l’affiliation à la fiction active du Jardin parfumé jouissait de plus de visibilité. Sa monnaie, même si ce n’était que pour la durée pendant laquelle « 1 » existait temporairement, possédait davantage de valeur que sa seule affiliation aux trois institutions mentionnées plus haut ou même que la ville-hôte elle-même.
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22 En regard d’un projet comme La Fontaine aux souhaits, les chambres d’hôtel du Khan semblaient des forteresses, et il fallait à nouveau se lancer dans une discussion sur les frontières. Il est intéressant de parler de frontières dans un contexte où l’on cherche à comprendre similplacer comme verbe. Que signifie que quelque chose en similplace une autre ?
Le mot trouve son origine dans une réflexion sur les frontières, la proximité et le rapport que la fiction active du Jardin parfumé entretient avec la coexistence et la démocratie, toutes deux des reliquats d’un système qu’il vise à remplacer. C’est ce contexte délicat ou quasi-paradoxal qui exige un nouveau moyen de concevoir la situation, un moyen qui prenne en compte la possibilité d’une croissance multidirectionnelle s’effectuant au sein et en parallèle d’un paysage qu’il semble provoquer.
Ces chambres d’hôtel jouent le rôle d’armatures pour l’introduction de la Fiction Active, pour permettre à différentes constructions spatiotemporelles de s’infiltrer dans les écarts ouverts entre les frontières de ce qui a été établi comme réel.
Au lieu de penser aux chambres d’hôtel du Khan comme à des espaces clos, par exemple, nous pouvons postuler qu’il s’agit des rares endroits où le similplacement peut avoir lieu, en acceptant similplacement comme quelque chose que nous essayons encore de comprendre. Ces chambres d’hôtel jouent le rôle d’armatures pour l’introduction de la Fiction Active, pour permettre à différentes constructions spatiotemporelles de s’infiltrer dans les écarts ouverts entre les frontières de ce qui a été établi comme réel.
Comme je le disais plus haut en proposant de comprendre les frontières plus comme des membranes cellulaires que des délimitations géopolitiques, je m’intéresse aux analogies entre les systèmes sociaux / culturels en place et les systèmes organiques anatomiques / physiologiques. On peut observer cela à un certain niveau dans l’orientation prise par l’architecture et le design contemporains, évoluant vers des formes organiques, et s’informant de la physiologie des plantes et des animaux. Mais il est intrigant d’envisager ces structures au-delà de leur aspect structurel, esthétique ou climatique. Etrangement, la recherche sur la régénération dermique fournit un interlocuteur idéal pour l’exploration du similplacement dans le contexte des frontières et des chambres d’hôtel du Khan.
La peau qui a subi des blessures ou des brûlures importantes ne régénère pas. Elle cicatrise. Après le traumatisme, la peau (vivante) est réparée au moyen d’un mécanisme qui créé du tissu dermique (mort). Alors que les méthodes antérieures de traitement post-traumatique de pertes dermiques reposaient sur la chirurgie esthétique, au moyen de greffes qui laissaient toujours des cicatrices aux frontières du greffon, les docteurs Ioannis Yannas et John F. Burke « ont découvert la première armature dotée d’une activité régénérative. Cette découverte est centrée sur une armature biodégradable, un analogue extrêmement poreux de la matrice extracellulaire reposant sur du collagène de type I et incorporant des éléments structurels, dont on n’avait pas compris l’importance à l’époque. »
La modification de comportement qui survient au niveau physiologique, une fois l’armature introduite, est intrigante quand on l’observe par la lorgnette des Fictions Actives et Dormantes. A l’emplacement du trauma, de nouvelles cellules sont créées sur la membrane abîmée. Le rôle de ces cellules est de fermer la plaie. Les cellules se rapprochent depuis les bords opposés de la plaie, comme si elles tiraient un rideau, et la ferment avec un tissu cicatriciel, dont la nature est différente du tissu dermique.
Le docteur Yannas travaille sur un modèle de régénération dermique (MRD), l’armature à laquelle je fais référence, permettant de modifier le mécanisme de clôture de la plaie et d’induire une nouvelle fonction conduisant à un résultat différent. L’armature, appliquée à la plaie ouverte et la couvrant entièrement d’un bord à l’autre, est destinée à créer un environnement perturbant les cellules qui migrent les unes vers les autres pour fermer la plaie. L’armature fournit une organisation alternative afin que ces cellules restent en place, mettant en quelque sorte un frein à leur désir de se rejoindre. Face à cette nouvelle réalité, les cellules changent de nature. Une fois mises en pause, elles commencent à générer de nouvelles cellules dermiques, au lieu de chercher à fermer la plaie par une cicatrice. Avec le temps l’armature se désintègre, et il reste la peau régénérée. On peut dire que la fiction de l’armature a modifié celle du corps. On peut aussi dire que ce que nous avons observé comme frontières de cette armature (les dimensions du tissu) n’étaient en fait pas des frontières, mais apparaissaient seulement comme telles entre le moment de leur production et celui de leur action. De la sorte, les chambres d’hôtel du Khan sont tout autant des lieux de synthèse que La Fontaine aux souhaits.
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23Je suis un lieutenant dans la foule. « C’est dimanche, aujourd’hui. On quitte Alep à 4 h. Demain, lundi matin, vous serez à Istanbul. Alep. Je suis attiré vers un bâtiment qui ressemble à celui de ma grand-mère à Trablus. Il repousse la rue sur laquelle il se trouve, arborant un néon vert « Hôtel Baron ». Je marche vers la première porte de métal, sonnerie, puis la seconde, sonnerie, donnant dans le bâtiment qui ressemble à celui de ma grand-mère. J’entre, cherchant la réception. Il n’y en a pas. La dame excessivement élégante qui se trouve à la caisse tour à tour délivre des reçus et joue du piano à queue qui se trouve derrière elle. Elle interprète Come on-a My House de Bagdasarian, alternant entre une exécution fidèle du morceau et des variations pour son plaisir. Elle ne sourit que lorsqu’elle joue ses variations.
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Le bar « 1 » du Khan est conçu sur le modèle du tristement célèbre Hôtel Baron d’Alep
24Les chambres d’hôtel du Khan offrent des espaces de repos. Leurs frontières fictives ne délimitent pas des espaces clos où les choses incubent, mais là où elles similplacent. En tant que concierge, Hekmat entretient les chambres et divertit les clients. Dans « 1 », il manifeste une certaine tendresse dont Le Jardin parfumé est tout entier imprégné, une tendresse qu’on ne peut retrouver que dans une autobiographie. Une forme particulière de tendresse qui engendre un pouvoir, et qui par le pouvoir donne naissance à la sécurité tout en étant complètement mis à nu et à vif. Il s’agit d’une tendresse qui gagne en pouvoir et en adhésion non par la création d’une forteresse, mais en établissant un espace d’intimité.
De tous les gens qui ont ouvert la porte de « 1 » alors que je me trouvais dans la pièce, plus de la moitié ont jeté un coup d’œil à l’intérieur, avant de fermer rapidement la porte et de s’enfuir. C’était comme s’ils avaient vu quelque chose qui ne devait pas être vu. Un homme sur des toilettes, leurs parents coucher ensemble, une scène de crime, etc. Le reste, moins d’une minute après être entrés, se retrouvaient dans le paysage d’une autobiographie matérialisée. C’était comme si, entre les lignes de la lettre ouverte d’un monde qui leur parvenait, ils pouvaient se retrouver, et qu’ils voulaient, d’une certaine façon, que leur histoire en devienne une partie. Ce désir sans effort de ressentir, d’habiter et d’adopter un autre modèle, même de façon non-intellectuelle, et d’une certaine façon précisément de cette façon non-intellectuelle, est la fiction activée.
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« 0 » et « 1 » étaient tous deux disponibles à la location sur Airbnb
25 Je n’avais pas vu Zalfa depuis qu’elle m’avait appris à donner un sens à mes ingrédients contradictoires quand elle lançait l’enregistrement, et que j’enfouissais les ruines d’Oum Kalthoum avec les miennes. Je fréquentais le repaire de sa mère près du phare — 3 mètres sur 3. Chaque Mohamad était invité à venir s’y faire tirer le portrait. Ses mains habilement palestiniennes dessinaient ce qu’il y avait de meilleur et de pire en nous. Sa tanière était là où nous étions tous libres, là où nous pouvions faire les choses que le monde n’était pas prêt à voir, et dire les choses que nos parents n’étaient pas prêts à entendre.
C’était un endroit où retrouver le Mohamad d’origine, en débordant les façons de l’aimer prévues par le manuel. J’aimais Mohamad. Certains de ses souvenirs sont les miens. « Les souvenirs sont comme les bandes de lin que les mères palestiniennes enroulent autour des membres blessés de leurs enfants », disait l’Hadja plongeant son regard dans ceux des Mohamads. « Nous les partageons tous ».
La mère de Zalfa avait gagné son qualificatif de « Hadja », non pas en se rendant à la Mecque, en tournant sept fois autour de la Kaaba, en courant d’un rocher à l’autre et en jetant des pierres sur un poteau, mais en devenant au contraire elle-même une Mecque. En fait, son véritable titre « Hidja » signifie « raison » ou « lieu de pèlerinage », deux choses qu’elle était devenues pour une secte de Mohamads errants. Avec le temps « Hidja » était devenu « Hadja », un terme générique désignant une femme ayant accompli son pèlerinage. Et une façon plus simple et plus adaptée de s’adresser à une musulmane âgée pour les boutiquiers, les policiers et les joggeurs du front de mer.
Chaque Mohamad lui rendait visite pour se faire tirer le portrait, publiquement ou en secret. D’une façon ou d’une autre, les Mohamads cherchaient quelque chose qu’ils ne savaient pas exister. Certains voulaient voir leur prophète sous les traits de leur visage. D’autres souhaitaient ardemment voir leur visage au travers ces yeux palestiniens largement soulignés de khôl qui savaient tout. Les Mohamads qu’elle aimait devenaient sa propriété. Chacun d’entre nous pensait qu’il était son préféré. J’étais sûr de l’être, mais à l’intérieur de son Majlis, chacun des autres Mohamads aussi.
L’amour qu’elle connaissait et l’amour qu’elle donnait était un amour qui ne pouvait naître qu’en exil. C’est un amour semblable à celui qui existe entre des amis, ce pur lien qu’on crée avec des gens au-delà des liens du sang. C’est un pont choisi créé entre deux personnes qui n’ont pas besoin de s’aimer, mais qui choisissent de le faire. C’est un filet de sécurité pour la vie, quand on ne tient plus dans le nid familial. Chacun d’entre nous cherchait cet amour sans le savoir. Nous étions tous en exil, portant le nom d’un prophète invisible, désireux de tout ce qui se trouvait en-dehors du champ de son enseignement.
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26Établir le prototype de pratiques culturelles, c’est en comprendre l'aspect vernaculaire, l’accepter et l’aimer. Pourtant, c’est l’aimer sans en tomber amoureux. Et ne pas tomber amoureux de l’original, quel qu’il soit, même du vernaculaire quand il devient l’original, et accepter les moments de Tarab et ses transmutations dans chaque corps quand elles surviennent, parce qu’elles surviendront toujours. Similplacer, la similplace et [peut-être] le similplacement peuvent être le fait d'une rencontre, sans la confrontation. Cela peut-être la perception de quelque chose comme un souvenir même s’il n’a pas été vécu auparavant. C’est être dans un lieu qui semble abandonné même s’il n’a jamais été habité, et ressentir la tendresse entre ici et là, entre maintenant et alors, sachant qu’il s’agit du même lieu, de la même place.
Activer une fiction, c’est proposer le format le plus simple pour un itinéraire de désir, celui qui permet et promeut la visibilité. Publiciser, au lieu de publier, pour faire apparaître le mot public, dans l’acte de mettre dans l’espace accessible et potentiellement partagé. L’écriture comme architecture offre un espace pour négocier les frontières et la capacité supposée des frontières à façonner des lieux. Elle est en conflit direct avec l’architecture qui s’enracine dans la clôture, le design qui repose sur la peur ou les décisions fondées sur l’histoire.
L’approche de l’architecture par l’écriture et la fiction complexifie l’histoire et les frontières entre passé, présent et futur. Cela permet la naissance de choses, pendant la durée des discussions au sein desquelles elles sont nées. Avec le temps, « Hidja » se transforme en « Hadja ». Le simiplacement devient semplice. L’Hadja ne fait pas obstacle à son vernaculaire non informé, tout comme le semplice ne le fera pas. Au contraire le semplice, tout comme Hadja, utilisera sa forme nouvelle pour projeter ce qu’il tente de signifier. Dans le cas de l’Hadja, il était plus facile d’approcher un pèlerin qu’un pèlerinage. Pour le semplice, la fiction active, cette nouvelle musique sera jouée de façon simple pour que tout le monde puisse murmurer à l’unisson.
Merci pour votre lecture.
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Bibliographie & web
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Blanchot, Maurice, 1969, L’Entretien infini, Paris, Gallimard.
Danielson, Virginia, 1997, The voice of Egypt: Umm Kulthūm, Arabic song, and Egyptian society in the twentieth century, Chicago, University of Chicago Press, http://hdl.handle.net/2027/heb.05912.
Darwish, Mahmoud, 2000, « Sur cette terre », La Terre nous est étroite et autres poèmes, Paris, Gallimard.
Majzoub, Raafat. 2014, « An Opportunity to Imagine a Bright, Green, and Tolerant Lebanon », Al Akhbar, https://goo.gl/E7JU6r (dernière consultation le 4 mars 2017).
Nehme, Stephanie, 2014, « Interactive Art Helps Those in Need of Cash », The Daily Star Newspaper – Lebanon, http://www.dailystar.com.lb/Life/Lubnan/2014/Oct-14/273932-interactive-art-helps-those-in-need-of-cash.ashx
Racy, Ali-Jihad., 2003, Making Music in the Arab World, Cambridge, The Press Syndicate of the University of Cambridge.
Samuel, Herbert, 1915, The Future of Palestine, Memorandum.
Seif, Ola, 2014, « Cairo's first opera house remembered », Ahram Online, https://goo.gl/USx8pV (dernière consultation le 4 mars 2017).
Trad, Sarah, 2014, « Artist Creates Hamra 'Wishing Fountain' For Panhandlers », Beirut.com City Guide, https://www.beirut.com/l/36422 (dernière consultation le 9 mars 2017).
Webographie
« Kunstberg - BOZAR – Centre For Fine Arts », Montdesarts.com, http://www.kunstberg.com/en/Bozar-palais-des-beaux-arts
« MECHE PEOPLE: Ioannis Yannas | MIT Department of Mechanical Engineering », Meche.mit.edu, http://meche.mit.edu/people/faculty/YANNAS@MIT.EDU
« Moussem Cities: Beirut – Moussem », Moussem.be, https://www.moussem.be/fr/moussemcitiesbeyrouth, 2-18 février 2017.
« Mare Nostrum Operation – Marina Militare », Marina.difesa.it, http://www.marina.difesa.it/EN/operations/Pagine/MareNostrum.aspx
« Programme », 2014, Beirut: Bodies in Public, https://bodiesinpublic.wordpress.com/programme/
United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees (UNRWA) (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient), « Where We Work », https://www.unrwa.org/where-we-work/lebanon
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Notes
1. Majzoub, Raafat, 2014, « An Opportunity to Imagine a Bright, Green, and Tolerant Lebanon », Al Akhbar, dernier paragraphe du texte, https://goo.gl/E7JU6r (dernière consultation le 4 mars 2017).
2. Seif, Ola, 2014, « Cairo's first opera house remembered », Ahram Online, https://goo.gl/USx8pV (dernière consultation le 4 mars 2017).
3. Dans ce texte, « public » fait référence aux lieux et aux espaces partagés communément accessibles par les gens. Ce sont des espaces qu’on estime contestés, dont les structures ne sont pas figées, mais se transforment en fonction du corps dominant au pouvoir. C’est la capacité à rentrer en concurrence avec ces structures flexibles et à les modifier qui détermine l’importance de produire quelque chose appelé à devenir « public ».
4. Mahmoud Darwish (1941-2008) est un poète palestinien considéré comme un symbole national en Palestine et un des poètes arabes les plus importants du xxe siècle. Il est introduit dans le monde du Jardin parfumé sur la forme d’un jeune poète du même nom dans différents scénarios. Dans l’un d’entre eux, il livre une version de son poème « Sur cette terre » à un public du Khan.
5. Le Liban a pris son indépendance vis-à-vis de la France en 1943 après vingt-trois années de domination mandataire.
6. The Future of Palestine était un mémorandum introduit au départ par Herbert Samuel auprès du gouvernement britannique en janvier 1915, deux mois après la déclaration de guerre à l’empire ottoman. Le mémorandum influença un certain nombre de membres du Cabinet dans les mois qui précédèrent la négociation de l’accord Sykes-Picot de 1916, et plus tard la Déclaration Balfour de 1917.
7. Cet accord secret entre la France et la Grande-Bretagne déterminait leurs rôles respectifs dans le Moyen-Orient d’après-guerre. Il prévoyait une transition entre la fiction active de l’Empire ottoman dans la région et une fiction active anglo-française. Il fut signé le 9 mai 1916.
8. Le panarabisme est une idéologie qui se réclame de l’idée d’un monde arabe par l’unification des pays d’Afrique du Nord, du Proche et du Moyen-Orient, de l’océan Atlantique à la mer d’Arabie, et qui est très lié au nationalisme arabe, postulant que les Arabes forment une nation unique.
9. Blanchot, Maurice, 1969, L’Entretien infini, Paris, Gallimard.
10. La fiction du Jardin parfumé ne nie pas l’existence du capitalisme et du système monétaire, mais elle vise à en créer un autre par étapes, une autre Fiction Active.
11. Mohamad, Ahmad et Mustapha sont 3 des 99 noms du prophète de l’Islam, Muhamad.
12. Elias Khoury a qualifié la ville de la sorte dans une intervention donnée à Bruxelles le 9 février 2017, au cours du festival Moussem Cities: Beirut.
13. À partir du 6 mai 2015, le Haut-Commissariat des Nations Unies au Liban a temporairement suspendu tout nouvel enregistrement, sur les instructions du gouvernement libanais. En conséquence, les individus en attente d’enregistrement ne sont plus pris en compte.
14. Un projet d’art public interactif à Beyrouth de Raafat Majzoub, financé par Ashkal Alwan (LB).
15. Section « Where We Work », Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), https://www.unrwa.org/where-we-work/lebanon (dernière consultation le 7 mars 2017).
16. Warda, Batwannes Beek, 1986, texte Omar Batiesha, musique Salah El Sharnobi.
17. Trad, Sarah, 2014, « Artist Creates Hamra 'Wishing Fountain' For Panhandlers », Beirut.com City Guide, https://www.beirut.com/l/36422 (dernière consultation le 9 mars 2017).
18. Nehme, Stephanie, 2014, « Interactive Art Helps Those in Need of Cash », The Daily Star Newspaper – Lebanon, http://www.dailystar.com.lb/Life/Lubnan/2014/Oct-14/273932-interactive-art-helps-those-in-need-of-cash.ashx (dernière consultation le 9 mars 2017).
19. « Programme », 2014, Beirut: Bodies in Public, https://bodiesinpublic.wordpress.com/programme/, (dernière consultation le 9 Mars 2017).
20. Sandy Chamoun incarne le même personnage « Rayya » dans Le Jardin parfumé et La Maison de plage (Liban, 2016, 75’, col. Réalisateur : Roy Dib, auteurs : Roy Dib, Raafat Majzoub).
21. The Beach House, Liban, 2016, 75’, col. Réalisateur : Roy Dib, auteurs : Roy Dib, Raafat Majzoub. Film.
22. Danielson, Virginia, 1997, The voice of Egypt: Umm Kulthūm, Arabic song, and Egyptian society in the twentieth century, Chicago, University of Chicago Press, http://hdl.handle.net/2027/heb.05912.
23. Racy, A.J., 2003, Making Music in the Arab World, Cambridge, The Press Syndicate of the University of Cambridge, p. 73.
24. Ibid., p. 59 et 64.
25. Dans le roman, « Unus Mundus » est utilisé en référence à The Outpost, un magazine de possibilités du monde arabe, publié à Beyrouth. Il s’agit d’une création d’Ibrahim Nehme (rédacteur en chef, depuis 2012) et de Raafat Majzoub (directeur artistique, 2012-2014). Le premier numéro de The Outpost comportait le premier chapitre du Jardin parfumé dans son supplément littéraire, dans lequel les personnes mentionnées dans le numéro du magazine servaient de personnages.
26. Traduit sameplace. Il s’agit d’un mot-valise constitué de deux mots très simples, same (identique, similaire) et place (lieu) qui est utilisé comme concept, mais aussi comme verbe sous sa forme sameplacing (NdT).
27. Forme de robe portée par certaines femmes dans le monde musulman, y compris en Afrique du nord et dans la péninsule arabique.
28. Le lien vers « 0 » sur Airbnb : https://www.airbnb.com/rooms/15424405
29. « Champs gaziers et pétrolifères en méditerranée orientale » (en rouge, le basin levantin), US Energy Information Administration, Boundaries of the Levant Basin, or Levantine Basin (US EIA), 2017, (dernière consultation le 15 mars 2017).
30. « Moussem Cities: Beirut – Moussem », Moussem.be, https://www.moussem.be/fr/moussemcitiesbeyrouth, 2-18 février 2017, (dernière consultation le 15 Mars 2017).
31. « Mare Nostrum Operation – Marina Militare », Marina.difesa.it, http://www.marina.difesa.it/EN/operations/Pagine/MareNostrum.aspx, (dernière consultation le 15 mars 2017).
32. Mare nostrum signifie en latin « notre mer », ainsi qu’elle était appelée à l’époque romaine.
33. En anglais, tackle, « Mare Nostrum Operation - Marina Militare », Marina.difesa.it, http://www.marina.difesa.it/EN/operations/Pagine/MareNostrum.aspx, (dernière consultation le 15 mars 2017).
34. « Moussem », Moussem.be, (dernière consultation le 16 mars 2017). Le Moussem était l’organisateur de Moussem Cities: Beirut, le festival qui avait commandité « 1 ».
35. « Galerie Ravenstein - Bruxelles Ma Belle », Bruxellesmabelle.net, (dernière consultation le 16 mars 2017). « Maillon piétonnier important entre la ville haute et la ville basse, la Galerie Ravenstein conduit à la gare Centrale. Elle est englobée dans un vaste immeuble de bureaux, haut de quatre étages. »
36. « Kunstberg - BOZAR – Centre For Fine Arts », Montdesarts.com, http://www.kunstberg.com/en/Bozar-palais-des-beaux-arts (dernière consultation le 16 mars 2017).
37. « MECHE PEOPLE: Ioannis Yannas | MIT Department of Mechanical Engineering », Meche.mit.edu, http://meche.mit.edu/people/faculty/YANNAS@MIT.EDU, (dernière consultation le 12 mars 2017).
38. Titre donné à une femme âgée ou à une femme ayant fait le pèlerinage (hajj) à la Mecque.
39. Terme faisant référence à un lieu dans lequel on s’assoit, utilisé habituellement pour désigner un « conseil ».
40. Sameplace devient Semplice. Semplice sɛm.pli.tʃe : Terme musical qui, sur les partitions, indique que le passage doit être joué ou chanté simplement, sans ornement.
http://www.antiatlas-journal.net/pdf/02-Majzoub-lecriture-comme-architecture-performer-la-realite-jusqua-ce-quelle-sexecute.pdf