antiAtlas Journal #4, 2020
ItinÉraires échenoziens : dispositif cartographique et roman contemporain
Sara Bédard-Goulet
Résumé : Cet article analyse les dispositifs cartographiques tels qu’ils sont (r)employés dans l’œuvre romanesque de l’auteur français Jean Echenoz, en les faisant dialoguer avec des dessins de l’artiste québécoise Josée Dubeau. Il souligne la mobilité intrinsèque des cartes, les parcours qui en sont la condition et qui révèlent une conception de l’habiter contemporain fondé sur la pratique de l’espace.
Sara Bédard-Goulet est professeure d’études romanes à l’Université de Tartu (Estonie). Ses recherches portent sur la littérature contemporaine de langue française.
Mots-clés : roman contemporain, Jean Echenoz, dispositifs, espace, habiter
Cette publication est soutenue par le projet ASTRA PER ASPERA de l'Université de Tartu, financé par le Fond Européen de Développement Régional.
Josée Dubeau, Règles d’extrapolation, 2011. Aquarelle sur papier, 58 x 110 cm, Space Studios.
Pour citer cet article : Bédard-Goulet, Sarah, "Itinéraires échenoziens : dispositif cartographique et roman contemporain" paru le 10 juillet 2020, antiAtlas Journal #4 | 2020, en ligne, URL : www.antiatlas.net/04-itineraires-echenoziens, dernière consultation le Date
1 Envisagée comme dispositif, la carte quitte son rôle de « représentation, normalement à l’échelle et sur une surface plane, d’une sélection de caractéristiques matérielles ou abstraites sur, ou en relation avec, la surface de la Terre ou d’un corps céleste », pour devenir « une matrice d’interactions potentielles », attirant l’attention sur les éléments qui composent l’espace géographique en tant qu’ils sont « actualisés par leur usage ». Cette conception de la carte accorde la priorité au processus plutôt qu’à la forme, offrant une place de choix à la mobilité et à l’incorporation des organismes dans leur environnement. Tandis que la cartographie moderne « rejette dans son avant ou son après, comme dans les coulisses, les opérations dont elle est l’effet ou la possibilité », c’est-à-dire les parcours, les cartes telles qu’elles sont appréhendées, représentées, transformées dans la littérature peuvent réactiver ces parcours qui en étaient à l’origine la condition de possibilité. En effet, la littérature en général et le roman contemporain en particulier, qui s’établit sur les doutes partagés du poststructuralisme et du Nouveau roman vis-à-vis du discours et de son incapacité à rendre compte de la réalité, constituent un lieu de prédilection pour interroger les dérives de la représentation cartographique, son morcellement idéologique du monde, et proposer des alternatives grâce à ses « récits d’espace », tout en « restitu[ant] à la géographie sa dimension poétique ».
Le dispositif est « une matrice d’interactions potentielles »
Les romans de l’auteur français Jean Echenoz (né en 1947), qu’il qualifie lui-même de « géographiques » et auxquels Christine Jérusalem a consacré ses Géographies du vide, forment un corpus tout indiqué pour examiner le dispositif cartographique tel qu’il s’inscrit et s’élabore dans le médium romanesque. Avec son premier roman, Le Méridien de Greenwich (1979), Echenoz annonce son intérêt pour les défis posés par les représentations de la Terre et témoigne de l’arbitraire de la cartographie moderne qui, dans le récit, sépare artificiellement une île isolée du Pacifique entre hier et demain. Aussi, le présent article vise-t-il à étudier la manière dont le dispositif cartographique est (r)employé dans l’œuvre romanesque d’Echenoz pour penser l’incorporation des individus dans l’espace contemporain et les rapports qui s’élaborent entre ceux-ci. En prenant pour objet d’étude Le Méridien de Greenwich (1979), L’Occupation des sols (1988), Nous trois (1992) et Je m’en vais (1999), il se concentre sur la mobilité intrinsèque à l’usage littéraire des cartes, la chaîne des opérations spatialisantes conçue par le récit étant constituée de références à ce qu’elle produit (les représentations de lieux), mais aussi à ce qu’elle implique (les parcours). L’analyse de texte, informée par la critique des dispositifs, permet d’évaluer la façon dont s’articulent les trois niveaux (technique, pragmatique, symbolique) du dispositif cartographique à l’œuvre dans le corpus, en dépassant une appréhension des œuvres sous l’angle de la référentialité. Elle dialogue ici avec l’œuvre de l’artiste québécoise Josée Dubeau, dont le travail spécifique sur L’Occupation des sols et général sur le rapport à l’espace contribue à une réflexion sur la manière d’habiter à l’époque contemporaine.
L’intérêt principal du dispositif tel que le conçoit Michel Foucault et sur lequel s’appuie l’analyse des dispositifs littéraires repose sur sa façon d’inclure « du dit, aussi bien que du non-dit » : en considérant, aux marges du structuralisme, les éléments non-discursifs, le philosophe insiste sur l’analyse des processus plutôt que des systèmes, sur l’actualisation de la structure par les usages. Considéré dans l’œuvre littéraire, le dispositif permet d’expliquer, par exemple, l’effet de scène qu’entraîne « l’irruption d’un réel hors-cadre » dans une configuration scénique codée. Alors que le dispositif employé, comme c’est le cas généralement de la carte, prend sens dans son utilisation, le dispositif représenté « exhibe sa configuration et les procédures de son emploi ». Aussi, le dispositif cartographique sollicité dans la littérature, en projetant son usage dans la fiction, permet-il de figurer les valeurs qu’incarnent la carte, de dessiner les procédures qui en font un objet structurant. Dans l’œuvre de Jean Echenoz, il est étroitement lié au rapport à l’espace, à la mobilité des personnages et à leurs itinéraires qui revivifient l’appréhension d’une cartographie figée par la référentialité de la représentation.
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I. Cartes spéculatives
2 Dans Le Méridien de Greenwich, le rapport des personnages et des lieux aux normes cartographiques dénonce l’illusoire maîtrise du territoire que celles-ci proposent et à laquelle s’oppose l’apport de la fiction dans l’appréhension de l’espace. Le récit s’élabore à partir du genre du roman d’espionnage pour le détourner, en insistant sur l’absurdité des manigances malhonnêtes qui s’y échafaudent et en multipliant les situations invraisemblables. La plupart des personnages y font partie, parfois à leur insu, d’une organisation criminelle qui finance notamment des scientifiques pour tirer profit de leurs inventions. Lorsque ces inventeurs ne sont plus rentables, l’organisation dirigée par Monsieur Haas à Paris met en scène leur disparition, et celle d’autres protagonistes gênants par la même occasion. C’est le cas pour Byron Caine, à qui un membre de l’organisation de connivence avec son patron offre d’acheter son dernier projet à meilleur prix, pour qu’il le réalise sur une île au centre de l’océan Pacifique à l’écart de l’éventuelle vengeance de Monsieur Haas. « À égale distance de Shangaï [sic] et San Francisco », cette île est l’unique territoire traversé par le méridien de Greenwich, car découverte après que son parcours ait été fixé. L’inventeur et les hommes chargés de le surveiller y séjournent pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’ils soient attaqués par un groupe lancé sur la piste du projet par la même organisation. Comme prévu par Monsieur Haas, les deux groupes s’entretuent, sauf pour trois personnages qui prennent la fuite.
Le Méridien de Greenwich s’inscrit d’emblée dans la continuité de « l’ère du soupçon » identifiée par Nathalie Sarraute à propos du Nouveau roman : il montre de la méfiance à l’égard de la représentation qui, bien qu’elle serve (parce qu’elle sert) de prétexte au récit, est systématiquement déconstruite par divers moyens (invraisemblance, caricature, facticité, accumulation, etc.). Ce soupçon inclut la représentation cartographique moderne, laquelle est d’abord et largement invalidée par la présence du méridien de Greenwich sur l’île anonyme du Pacifique, marqué d’« une stèle haute et maigre de béton gris, érigée au milieu d’une horde de buissons barbares […]. Le mégalithe semblait ancien ; ses flancs étaient érodés, sa base rongée par une gangue épaisse de feutre vert et brun ». En indiquant le méridien de cette borne, la narration suggère que son matériau moderne et réputé indestructible (le béton) est érodé par le végétal à la manière de la fiction qui tisse ses histoires en recouvrant les frontières avec la réalité. À l’image de toute représentation, il est néanmoins impossible de se passer entièrement du méridien et de ses repères, comme le souligne le personnage de Byron Caine lorsqu’il justifie la présence de sa démarcation sur l’île :
« — C’est parce qu’on la cache, explique-t-il, on a honte. On a honte de ne pas pouvoir faire courir le temps sur une sphère autrement qu’en recourant à une sorte d’artifice intellectuel, un méridien abstrait et arbitraire, chargé de découper à la fois la terre et la durée, et qui n’a pas plus d’existence que l’horizon. Pourtant, sans cette ligne, le temps n’a pas de forme, pas de norme, pas de vitesse. Il devient innommable. On a honte de ne pas pouvoir faire mieux. Alors on dissimule l’artifice dans un recoin bien isolé du planisphère, en espérant qu’il passera inaperçu. »
Cet artifice du planisphère qu’on s’ingénie à cacher constitue évidemment son point central, à partir duquel il se constitue, permettant ainsi, à partir de sa dénomination, de faire exister l’espace dans le temps. Le méridien et son signifié tranchent dans le réel, suscitant de la déception par rapport au fantasme d’adéquation totale avec celui-ci, et vers lequel la fiction permet de revenir.
« Alors on dissimule l’artifice dans un recoin bien isolé du planisphère »
En effet, le dispositif cartographique permet de penser l’espace en nommant des lieux à partir de l’expérience qu’en ont les habitants, extrayant ces lieux de l’arbitraire auquel ils seraient autrement soumis et les ouvrant ainsi à l’interaction, aux possibles. Le protagoniste du Méridien de Greenwich, l’inventeur Byron Caine, souffre justement d’un mal-être « géographique » associé à l’arbitraire qui caractérise pour lui tous les lieux, dont l’île où il se trouve : « Voilà l’île, pensa Byron Caine, c’est ici que je suis. Et la chose lui parut extraordinairement arbitraire […] C’était une vieille sensation. Il était né à Baltimore, au bord du Patapsco, et les rives du Patapsco lui avaient semblé depuis toujours être le lieu le plus arbitraire au monde ». Le détachement qu’éprouve le personnage à l’égard des lieux qu’il traverse « sans ancrage particulier » en cherchant à les « neutraliser obstinément » (jusqu’à poser ce « mouvement offensé et méprisant de répudiation du monde » qui fait exploser une partie de l’île et met fin à ses jours) suggère que la carte et son arbitraire sont nécessaires pour habiter le monde. Toutefois, le roman insiste sur l’apport de la fiction dans cette habitation en exposant l’emboîtement des leurres successifs qui constituent le récit, déconstruisant jusqu’au sens de son existence, tout en montrant qu’il fournit ainsi une idée plus juste du monde. Par exemple, ayant cédé de vrais plans de son invention lorsqu’on lui en demandait des faux (jugeant comme Poe que c’était la meilleure manière de dissimuler les choses), le personnage de l’inventeur s’ingénie ensuite à remplacer son original par un véritable faux :
« Caine avait d’ailleurs fini par ne plus s’intéresser qu’à la confection minutieuse de ce leurre, pure apparence, contenant vide et formel, efficace comme peut l’être un accessoire de théâtre, qui — digression — prodigue toujours un peu plus des particularités réelles de l’objet qu’il simule, et en restitue ainsi tous les traits bien mieux que ne le ferait au même endroit l’objet lui-même, délivré dans sa vérité molle. »
Cette phrase souligne l’intérêt de l’artifice pour transmettre les qualités des choses, les tirets cadratins qui encadrent l’incise « digression » mimant formellement ce rôle du leurre et assurant le passage entre celui-ci et le véritable objet. Car cet artifice est « à la fois factice et vibratile » comme le petit cube mystérieux connecté à la machine construite par Caine, « le seul objet sincère […] le seul qui soit vrai, mais ce n’est pas grand-chose ». Le ronronnement de celui-ci est éprouvé par les personnages, tout en n’étant qu’une pièce dans l’assemblage hétéroclite et aléatoire de matériau qui forme la machine, à l’image du récit lui-même.
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3 Par ailleurs, la fiction s’empare d’emblée du dispositif cartographique en le nuançant par l’intermédiaire d’« un moulage de terre cuite en provenance de Smyrne, présentant l’aspect supposé du cyclope Polyphème, au front orné d’un œil proéminent ». En réalité, la statuette, située dans le bureau de Haas, dissimule un projecteur permettant d’insérer des bobines de films dans la tête du cyclope, dont l’œil unique produit le faisceau lumineux. Or, l’énucléation de Polyphème par Ulysse et ses compagnons constituerait pour Franco Farinelli le premier acte cartographique « permettant de ramener le monde à un espace ». En effet, Polyphème représente le monde d’avant la raison, à l’image de l’énorme rocher qui ferme l’entrée de sa grotte et retient les Grecs prisonniers. L’épieu que ceux-ci enfoncent dans l’œil du cyclope allongé, en le tenant à intervalles réguliers, « constitu[e] une véritable échelle vivante, archétype et matrice du modèle métrique ou graphique qui, de nos jours, continue à différencier une représentation cartographique d’un simple dessin ». L’œil crevé marque « la naissance de la centralité » et retire toute la profondeur au globe, oculaire comme terrestre, annonçant la réduction cognitive et existentielle du monde vécu. Dans Le Méridien de Greenwich, la figure mythologique, traitée comme un objet kitsch, signe une esthétique du faux et attire l’attention sur le rôle réflexif et spéculatif de la fiction. Le cyclope énucléé devient un instrument d’optique qui, à l’inverse de l’épieu d’Ulysse, redonne de la profondeur au monde en « projetant dans la pièce un faisceau conique, comme un entonnoir lumineux matérialisant les poussières flottantes, invisibles ordinairement ». Dans ce roman, l’enjeu de la représentation ne se situe donc pas du côté du vrai et du faux, mais du sensible et de l’expérience ; celui du dispositif cartographique, non de l’assujettissement du réel à des normes, mais de l’habiter et de ses trajectoires.
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Le cyclope énucléé attire l’attention sur le rôle réflexif de la fiction
Légende : Josée Dubeau, Lignes de fuite (détail), 2013. Dessin mural aux fils de couleur, dimensions variables, Centre Vaste et Vague.
4 Une réflexion comparable se trouve au cœur de l’œuvre Lignes de fuite de Josée Dubeau, un dessin réalisé avec des fils de couleur en 2013 au centre d’artistes autogéré Vaste et vague de Carleton-sur-mer (Québec). Les fils forment une première grille géométrique rectilinéaire qui suit l’architecture du lieu, tandis qu’une seconde grille, légèrement décalée, crée un effet vibratile tout en déconstruisant l’architecture de la galerie. La superposition des deux grilles fait naître un soupçon vis-à-vis du réel et, dès lors, de la représentation qui, par le léger écart qu’elle marque, souligne l’arbitraire du tracé. À lui seul, le dessin élabore une fiction simple qui souligne le geste réflexif que celle-ci peut poser vis-à-vis de la cartographie, en révélant l’illusion de maîtrise qu’elle procure. En même temps, les lignes aménagent une fuite hors de l’usage normatif du dispositif cartographique : à l’inverse des cartes modernes, le blanc occupe la plupart de la pièce, discrètement encadrés par les fils colorés, offrant ainsi une large place à l’imagination. Dans Lignes de fuite comme dans Le Méridien de Greenwich, le minimalisme et l’artifice créent ainsi une « autre scène » pour appréhender l’espace.
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II. L’image et la carte
5 L’Occupation des sols est un court récit publié en 1988, dont la première phrase annonce d’emblée la situation : « Comme tout avait brûlé – la mère, les meubles et les photographies de la mère –, pour Fabre et le fils Paul c’était tout de suite beaucoup d’ouvrage : toute cette cendre et ce deuil, déménager, courir se refaire dans les grandes surfaces ». Les deux protagonistes emménagent dans un nouveau logement, que Paul devenu adulte quitte sans garder contact avec son père, jusqu’à ce que celui-ci requiert son aide dans le nouvel appartement où il vient d’emménager. Le récit s’articule autour de l’unique image conservée de la mère défunte, qui apparaît dans une publicité de parfum peinte sur le flanc d’un immeuble, où « elle souri[t] dans quinze mètres de robe bleue » Cette murale surplombe d’abord un petit espace vert qui, laissé progressivement à l’abandon, est remplacé par un chantier d’où s’élève un immeuble d’habitation recouvrant petit à petit l’image de Sylvie Fabre. Le veuf Fabre s’empresse d’acquérir le studio qu’il estime se situer à la hauteur du visage de Sylvie et fait appel à son fils pour accomplir une « tâche qui requerrait, c’est vrai, de la patience et du muscle, puis des scrupules d’égyptologue en dernier lieu », dont on imagine facilement la finalité, mais sur laquelle la fin ouverte du récit ne tranche pas. L’image de Sylvie Fabre constitue ainsi le centre du récit (ici aussi artifice de la représentation), autour duquel s’orientent les personnages, redessinant de la sorte le plan de Paris à partir de leurs itinéraires.
Les personnages redessinent le plan de Paris à partir de l’image maternelle.
En effet, toutes les actions des personnages sont déterminées par la murale, à commencer par le choix de leur premier logement, plus petit, et dont l’unique intérêt de ses deux pièces réside dans ce qu’elles sont situées « assez proches du quai de Valmy » Cela leur permet d’effectuer des visites hebdomadaires à l’effigie de Sylvie : « Le dimanche et certains jeudis, ils partaient sur le quai de Valmy vers la rue Marseille, la rue Dieu, ils allaient voir Sylvie Fabre ». Lorsque Paul quitte le logement familial, il a alors l’occasion de « visit[er] sa mère sur un rythme plus souple, deux ou trois fois par mois, compte non tenu des aléas qui font qu’on passe par là ». Au fil des années, il voit évoluer l’image publicitaire et aperçoit Fabre à proximité lorsque le chantier est en cours, qu’il évite ensuite pendant plusieurs semaines, jusqu’à y passer par hasard lorsque la construction est achevée. Ces parcours, conjugués au titre du récit, soulignent que l’organisation spatiale urbaine ne repose pas nécessairement sur un usage (ou non-usage) public des terres et que l’occupation des sols est tout autant individuelle que déterminée par un plan municipal et son architecture, proposant dès lors une forme de mapping plus dynamique que la cartographie moderne.
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Josée Dubeau, Le Plan déplié (détail), 2014. Dessin mural au crayon inactinique bleu, dimensions variables, Centre Axenéo7.
6 Ce récit est avantageusement éclairé par l’œuvre Le Plan déplié/The Unfolding Plan réalisée en 2014 par Josée Dubeau, invitée à participer à un projet du centre d’artistes autogéré Axenéo7 à Gatineau (Québec). Ce projet consistait à répondre au texte d’Echenoz et au lieu d’exposition, en mettant ainsi en scène la lecture, des artistes et des spectateurs. Le Plan déplié est un dessin mural effectué au crayon bleu inactinique – invisible à la reproduction en noir et blanc. Il couvrait les murs du lieu, meublé uniquement d’une chaise et d’une table, sur laquelle se trouvait un exemplaire de L’Occupation des sols, dont le format court permet une lecture sur place. Le dessin reprend un plan millimétrique qui, indique l’artiste, « fait référence à ce moment de transition entre la déconstruction et la construction de l’ancien et du nouveau, entre le passé et l’avenir et l’effacement d’un sépulcre dont la reproduction ne pourrait qu’en montrer une page blanche ».
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Josée Dubeau, Le Plan déplié (détail), 2014. Dessin mural au crayon inactinique bleu, dimensions variables, Centre Axenéo7.
7 Cette œuvre souligne un artifice essentiel au récit d’Echenoz : l’impossible reproductibilité de l’image. Car si la murale est la seule image conservée de la mère, on s’étonne que les personnages n’aient pas l’idée de la photographier avant qu’elle ne disparaisse. Or, le récit montre bien comment l’image de la mère s’apparente à un véritable personnage dont la présence excède toute ressemblance mimétique. Qu’elle ne puisse être reproduite rend par ailleurs possible le dispositif de récit, qui pallie à l’impossibilité de montrer l’objet de la représentation. Bien que l’image soit visible pour les personnages, elle forme finalement un écran à leur deuil, véritable objet du récit qu’eux-mêmes n’envisagent pas.
Le plan instille du mouvement dans un espace immobilisé par l’image
Aussi, lorsque Paul s’inquiète de voir « la pierre de taille chasser le bleu, surgir nue, craquant une maille du vêtement maternel », c’est moins la nudité maternelle qu’il peut craindre que la mort qui pointe sous le leurre de la fresque, la pierre rétablissant un contact avec le réel au moment où le symbolique s’effondre dans l’indiciel. Le plan millimétrique de Josée Dubeau s’élaborerait de manière semblable, indissociable du bâtiment, pour offrir un écran qui, à peine esquissé, se présente déjà comme tel, avec ses failles : les lignes de crayon bleu (de la couleur de la robe de Sylvie) très ténues peinent à ressortir sur les murs blancs. Pourtant, ces lignes parviennent à « fausser obliquement la structure de la salle et sa perspective », tout comme l’image de Sylvie biaise l’espace urbain et redessine la carte de la ville. Pour Émilie Ieven, ce phénomène procède d’une « logique visuelle de fixité qui promeut une image stable et localisée dans un lieu précis, devenant peu à peu l’unique réalité des personnages ». Toutefois, cette logique est déjouée par l’architecture et ses contraintes, qui « rappele[nt] le statut de représentation de Sylvie et contredi[sen]t la confusion entre le personnage et son image ». En effet, à l’impression de permanence que peut donner le bâti s’oppose le mouvement, lequel passe par le plan, qu’il s’agisse des calques millimétrés dépliés par Fabre lorsqu’il discute avec le contremaître du chantier ou ce ceux qu’il présente à son fils pour expliquer son projet. Comme c’est le cas pour l’œuvre de Josée Dubeau, le plan dénonce l’artifice de la représentation et instille du mouvement dans un espace immobilisé par l’image. Il montre comment les éléments de la géographie urbaine sont nettement inscrits dans un usage, que ce soit celui, publique, du nouveau bâtiment qui recouvre la fresque ou, privé, de l’entreprise d’excavation des deux personnages.
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Josée Dubeau, Le Plan déplié (détail), 2014. Dessin mural au crayon inactinique bleu, dimensions variables, Centre Axenéo7.
III. Imagerie et expérience
8 Dans Nous trois, qui tient à la fois du film catastrophe et du roman scientifique, cinq personnages s’envolent dans une navette spatiale afin d’installer trois satellites d’observation en orbite et d’en réparer un. Leur programme scientifique, suscitant initialement peu d’intérêt des financeurs, est lancé rapidement après qu’un tremblement de terre et son tsunami subséquent dévastent Marseille, événement auquel ont assisté par hasard deux des futurs astronautes. La Terre et ses mouvements sont au centre du récit, partiellement narré par l’un des pilotes de la navette, le reste étant pris en charge par le narrateur hétérodiégétique échenozien habituel. La planète y est non seulement observée par les satellites chargés de la « surveillance des marins solitaires, des albatros excursionnistes et des icebergs à la dérive », qui ont pour tâche de « cartographier le fond des mers, d’évaluer l’énergie des vagues, la dérive des plaques et le sens des vents », mais également par le pilote DeMilo, qui annonce en incipit du roman : « Je connais bien le ciel. Je m’y suis habitué ». Cette affirmation, répétée à plusieurs reprises, condense l’état de la Terre (que le personnage déduit depuis l’aspect du ciel) et la position de surplomb offerte par l’aéronautique et les satellites. Le récit interroge l’imagerie satellite et son point de vue déshumanisé en suggérant que la représentation cartographique est rapidement substituée à la Terre elle-même et en renouvelant l’intérêt pour l’expérience familière de celle-ci.
Tandis que la navette spatiale rejoint son orbite, deux personnages, invités par le second pilote (« Allez regarder. Habituez-vous »), observent la Terre par le hublot : « Considérée sous cet angle, l’Océan couvrant ses trois quarts, la planète avait l’air à l’abandon. La lumière diffractée par les poussières d’Afrique, en haut à gauche, rougissait le ciel au-dessus du continent. Meyer identifia Madagascar au beau milieu du disque : on devait se trouver à pic de Tananarive ». Cette description de la Terre vue de l’espace convoque, sans surprise, les images du globe qui peuplent l’imaginaire depuis les voyages spatiaux des années 1960. Ce référentiel est doublé de celui des représentations cartographiques : tel un planisphère, on y observe les poussières africaines « en haut à gauche » et identifie Madagascar « au beau milieu du disque ». La position surplombante des astronautes et leur point de vue découpé par un hublot sont certes appropriés pour décrire la Terre à partir de l’imagerie satellite. Le procédé n’est pourtant pas anodin, qui plaque la cartographie moderne sur la perception de la planète et réduit celle-ci à
« l’image du globe terrestre qui a accompagné toute l’histoire de la cosmologie occidentale [et qui] traduit bien le « monde des gens sans monde » que sont les Modernes : « un monde tenu à distance, littéralement dans notre main, figurant le rêve d’une connaissance totale et anhistorique de toute chose que nous voyons aujourd’hui pour ce qu’il est, à savoir un monde déshabité, empaillé […] de la taille de la main qui le porte. »
En même temps, le récit prévient, quoiqu’anecdotiquement, de la nocivité de cette observation hors sol par l’intermédiaire d’un personnage qui rappelle l’effet cancérigène des radiations interceptées par les hublots.
Le ciel renouvelle l’expérience sensible du monde à travers des éléments familiers.
À l’observation distante de la Terre et de sa cartographie s’oppose l’observation depuis le sol et l’expérience sensible, dont le tremblement de terre constitue l’événement le plus marquant du roman. Le ciel, principalement observé par DeMilo, forme ainsi une sorte de carte inversée, miroir de la planète qu’il recouvre, et annonciateur de ce qu’elle éprouve : « Connaissant le ciel comme je le connais, j’aurais dû me douter que ça se gâterait. Ces vilaines rougeurs vers le sud depuis le début de la semaine, irritations locales sur fond trop blême, tout cela ne présageait rien de bon. Puis c’était arrivé, la terre avait tremblé, sur toutes les chaines il n’était plus question que de ça ». Peau de la Terre, le ciel anthropomorphe renouvelle l’intérêt pour l’expérience sensible du monde à travers des éléments familiers, auxquels, par habitude, on ne porte plus attention et qui forment un « décor implicite ». Ces éléments eux-mêmes dessinent la carte du monde, en parallèle à celle élaborée par les humains et leurs préoccupations géopolitiques. Dans le ciel, toujours, se lit par exemple le parcours du sable entre l’Afrique et l’Europe à l’occasion d’une tempête dans le désert du Sahara :
« Le simoun, vent très chaud, se lève par bourrasques au sud du Maroc saharien. Il y produit des tourbillons compacts, brûlants, coupants, assourdissants, qui masquent le soleil et gercent le bédouin. Le simoun reconstruit le désert, exproprie les dunes, rhabille les oasis, le sable éparpillé va s’introduire profondément partout jusque sous l’ongle du bédouin, dans le turban du Touareg et l’anus de son dromadaire.
Le Touareg, bâché de bleu, se tient coi sur la bosse de sa bête. Près de lui, statufiés sous la tourmente, trois autres Touareg attendent que ça se tasse. Le sable fait monter un socle, poussière de pierre autour des chevilles des animaux. Quand le plus jeune des Touareg, affolé, crie qu’il s’enlise et que ça ne va plus du tout, ses aînés ne lui répondent pas. Sous leur housse, ils n’ont pas dû entendre la voix du débutant. C’est qu’autour d’eux la tempête grince énormément.
Mieux instruits que le jeune méhariste, ses aînés savent que le phénomène arrive du cœur du continent, qu’un aquilon venu d’Afrique centrale déchire de temps en temps le grand désert du Nord dont il fait bouillir l’étendue stérile et transporte l’écume au-delà des mers. Se délestant à la surface des eaux, tel une montgolfière, des sacs de sable du Grand Erg, faisant frémir au passage le titane des Boeing, le désert vole vers l’Europe dont il va poudrer le Nord-Ouest, perfectionner le revêtement des plages et propulser des grains dans tous les engrenages.
Croisant vers le nord, le tapis volant marocain touche Paris dans le milieu de la nuit, s’y dissémine uniformément sans omettre bien sûr le secteur Maroc, vers Stalingrad après la rue de Tanger : il recouvre la rue du Maroc, la place du Maroc et l’impasse du Maroc. »
Ce passage établit un rapport étroit entre les éléments humains et nonhumains, en insistant sur l’itinéraire d’un élément anodin et inerte, le sable, qui déploie pourtant une nette agentivité en se déplaçant et en abolissant les frontières naturelles et humaines. Dans Nous trois, l’attention portée aux éléments participe au changement de paradigme dans lequel nous plonge l’Anthropocène et souligne l’inadéquation des principes modernes opposant l’objet/la nature au sujet/à la société. Ces principes, visibles dans la représentation cartographique qui pose le territoire à distance, le récit s’efforce de les déconstruire, qui « cherche à nuancer les rapports entre sujet et objet, au-delà des dichotomies simplistes de la tradition » et « privilégi[e] les formes hybrides ».
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Josée Dubeau, Perdu dans l’espace, 2004. Gouache sur papier, 150 x 175 cm,
Collection du Musée national des Beaux-Arts du Québec.
9 On peut établir un parallèle entre Nous trois et les séries de gouaches Perdu dans l’espace et Spoutnik de Josée Dubeau, qui font partie de la collection du Musée national des Beaux-Arts du Québec. Les grands formats (150 x 175cm) de Perdu dans l’espace isolent des dessins de bâtiments suspendus par des parachutes rouge et blanc utilisés par la NASA, de sorte qu’ils semblent flotter sur l’espace de la feuille blanche. Ils sont accompagnés des petits formats (40 x 35cm) de Spoutnik, qui représentent des satellites colorés, également isolés sur le papier blanc. L’un de ces petits format montre un.e astronaute vu de face, juxtaposé à une vue aérienne rapprochée stylisée, comme s’il se trouvait en apesanteur à une altitude trop basse ou en chute libre vers la terre. En mettant en scène des habitations suspendues, Perdu dans l’espace porte résolument sur l’habiter contemporain, affecté, comme l’avancent certains, par la désymbolisation de notre époque, mais aussi, comme l’indiquent les parachutes caractéristiques de l’exploration spatiale, par les efforts de la technoscience à prendre de la distance avec la planète pour l’observer sans y être. Les satellites de la série Spoutnik, petites structures elles aussi hors sol, dont les touches de gouache font ressortir l’aspect bricolé, insistent sur l’imaginaire du voyage spatial et des informations captées et retransmises par des instruments qui ressemblent, ici, à des jouets, comme si l’aventure spatiale était ramenée à une dimension presqu’enfantine.
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Josée Dubeau, Spoutnik, 2004. Gouache sur papier, 40 x 35 cm, Collection du Musée national des Beaux-Arts du Québec.
10 Le portrait d’astronaute renversé, équipé d’un dispositif de manœuvre pour équipage (MMU) – visiblement inspiré de la photographie connue de Bruce McCandless qui l’utilise le premier en 1984, souligne, à travers celle de l’astronaute, la chute de l’humain vers la planète de laquelle il tente de s’éloigner. Contrairement à la photo de McCandless, dont la ligne d’horizon est tracée par le noir de l’espace et le bleu de la planète, le portrait de Josée Dubeau place l’astronaute parallèlement au sol, suffisamment rapproché pour qu’on y distingue des aplats verts suggérant de la végétation et des lignes qui rappellent des routes. En effet, le décor du portrait s’inspire des codes de représentation cartographique, offrant un point de vue aérien sur le sol et l’astronaute, comme si les spectateurs surplombaient eux-mêmes cette scène. Ce point de vue peut suggérer que les spectateurs sont au-dessus de la situation ou, plus probablement, qu’ils sont eux-mêmes en train de se précipiter vers le sol, face à l’astronaute dont le MMU est, sans coïncidence, équipé d’une caméra pointée vers eux, les rappelant ainsi à leur condition.
Prendre de la distance avec la planète pour l’observer sans y être
De manière semblable à Nous trois, la série Spoutnik joue sur l’imaginaire du voyage spatial pour montrer la nocivité d’une telle position vis-à-vis de la planète, en convoquant l’imagerie satellite et la cartographie pour souligner la distance qu’ils posent avec ce qu’ils représentent. Dans les deux cas, l’expérience sensible d’un décor conçu comme implicite – les manifestations de la terre dans le roman, le choc anticipé de la chute vers le sol dans les dessins – renouvelle l’appréhension de l’environnement familier et suggère une autre manière de dessiner le monde.
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Josée Dubeau, Spoutnik, 2004. Gouache sur papier, 40 x 35 cm,
Collection du Musée national des Beaux-Arts du Québec.
IV. Mobilité, des pôles aux frontières
11 Lauréat du prix Goncourt en 1999, Je m’en vais débute et se termine avec ces trois mots prononcés par Félix Ferrer, d’abord à sa femme qu’il quitte définitivement sur le seuil de leur domicile, puis à une inconnue rencontrée dans une fête au même endroit presqu’une année plus tard. Entre ces deux moments, le protagoniste, marchand d’art propriétaire d’une galerie à Paris, vit diverses aventures dont une expédition dans l’Arctique canadien visant à récupérer un trésor oublié d’art inuit ancien qui, aussitôt rapporté en France, est dérobé par le mystérieux Baumgartner, dont on suit les pérégrinations en alternance avec celles de Félix. À l’occasion de son voyage, Ferrer est confronté aux défis cartographiques que posent les pôles, qui déjouent la perception occidentale de l’espace et rendent ces lieux difficiles à saisir. Lorsqu’il est informé de l’emplacement de l’épave de la Nechilik, petit bateau de commerce prisonnier des glaces dans le golfe d’Amundsen depuis 1957 dans lequel se trouvent les objets d’art paléo-baleinien, il consulte son atlas afin de s’en faire une idée. Or,
« Les pôles, chacun peut l’éprouver, sont les régions du monde les plus difficiles à regarder sur une carte. On n’y trouve jamais bien son compte. De deux choses l’une en effet. On peut d’abord essayer de les considérer comme occupant le haut et le bas d’un planisphère classique, l’équateur étant pris comme basse horizontale médiane. Mais dans ces conditions tout se passe comme si on les regardait de profil, en perspective fugitive et toujours forcément incomplets, ce n’est pas satisfaisant. Ensuite on peut aussi les regarder par en dessus, comme vus d’avion : de telles cartes existent. Mais alors c’est à leur articulation avec les continents, qu’habituellement on voit pour ainsi dire de face, que l’on ne comprend plus rien et ça ne va pas non plus. Ainsi les pôles sont-ils rétifs à l’espace plat. Obligeant à penser en plusieurs dimensions en même temps, ils posent un maximum de problèmes à l’intelligence cartographique. Mieux vaudrait disposer d’un globe terrestre, or Ferrer n’en a pas. Mais bon, il parvient quand même à se faire une petite idée du coin : très loin, très blanc, très froid. »
Ce passage évoque bien les particularités de la représentation cartographique moderne, qui favorise les lieux occupés par les Occidentaux et montre d’emblée ceux qui en sont éloignés comme difficilement représentables, minant leur existence même, tout en exhaussant leur exotisme. La projection polaire, mieux à même de représenter l’Arctique mais moins répandue, rend son positionnement par rapport aux continents malaisé pour les habitués de la projection de Mercator. Dans les deux cas, le réel défie « l’intelligence cartographique » qui, on s’en aperçoit à la personnification des pôles (« rétifs à l’espace plat »), n’a rien d’intelligent, mais tout de l’arbitraire de la représentation. En effet, comme le rappelle Gilles Tiberghien : « Par leur nom comme sur le fond, les planisphères – littéralement les boules plates – veulent éliminer le souvenir de la troisième dimension non dominée par la représentation [...] Quand on réduit la profondeur, on met la main sur le réel ». Toute l’ironie d’Echenoz vise à rappeler cette résistance du réel qui s’inscrit, en creux, dans la représentation même. Aussi, la « petite idée » que se fait le protagoniste du « coin » est-elle résolument réductrice, caricaturale, tout en témoignant de l’échec du langage et de l’imagination lorsqu’il s’agit de décrire un lieu aussi étranger pour un Parisien que celui de la banquise.
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12 Par ailleurs, Je m’en vais insiste sur les frontières telles qu’elles sont représentées sur les cartes et éprouvées par les habitants qui font l’expérience d’enjeux géopolitiques résumés par un simple trait. Le trentième chapitre du roman est consacré au déplacement de Baumgartner vers l’Espagne (qui s’avèrera être l’ancien assistant de Félix, Delahaye, ayant mis en scène sa propre mort avant de s’emparer des antiquités). Afin d’éviter les rencontres inopportunes à Paris, le personnage sillonne pendant plusieurs mois le Sud-Ouest de la France, au point que tous les éléments « situés dans le coin inférieur gauche de la carte de France n’ont plus de secrets pour lui ». Le chapitre s’ouvre avec un rappel officiel des accords de Schengen signés en 1995 et permettant la circulation des personnes entre les pays signataires. La seconde phrase mesure la réalité de ces accords : « La suppression des contrôles aux frontières intérieures, ainsi que la mise en place d’une surveillance renforcée aux frontières extérieures, autorisent les riches à se promener chez les riches, confortablement entre soi, s’ouvrant plus grand les bras pour mieux les fermer aux pauvres qui, supérieurement bougnoulisés, n’en comprennent que mieux leur douleur ». Cette phrase indique sans détour la réalité d’un espace construit par des frontières et donc fondé sur l’exclusion, soulignée par la proposition incise « supérieurement bougnoulisés », dont le registre familier et péjoratif tranchement stylistiquement pour dénoncer un tel clivage.
« Le corps se transforme en passant une frontière ».
Bien que les frontières intérieures européennes n’aient plus lieu d’être pour Baumgartner, le personnage ne ressent pas moins un net changement lorsqu’il passe en Espagne :
« Le corps se transforme en passant une frontière, on le sait aussi, le regard change de focale et d’objectif, la densité de l’air s’altère et les parfums, les bruits se découpent singulièrement, jusqu’au soleil lui-même qui a une autre tête. Les oxydes rongent de manière inédite des panneaux routiers qui suggèrent une conception inconnue du virage, de la vitesse réduite ou du dos d’âne, certains d’entre eux demeurent d’ailleurs obscurs et Baumgartner se sent devenir quelqu’un d’autre, ou plutôt le même et l’autre, comme quand on vous a transfusé tout le sang. »
L’accumulation d’éléments transformateurs dans ce passage contredit ironiquement ce qu’on y affirme, en soulignant la puissance de suggestion d’une délimitation cartographique et ses effets sur la perception de soi. La comparaison finale, volontairement peu accessible pour les lecteurs, permet d’interroger la pertinence du développement et de remettre en cause l’écart artificiel produit par la frontière. Le roman questionne ainsi les pouvoirs à l’œuvre derrière la cartographie et leurs effets sur l’appréhension de l’espace, en suggérant que la mobilité est l’une des clés pour la renouveler. Les mouvements migratoires sont même évoqués qui, concernant les oiseaux, ne posent pas de problème et rappellent l’importance des déplacements en Europe, ainsi que les voies par lesquelles ils s’effectuent : « Elles migrent, ces cigognes, c’est la saison, elles font leur petit Potsdam-Nouakchott via Gibraltar annuel presque sans escale, en suivant fréquemment des tracés de routes existantes ».
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Josée Dubeau, Règles d’extrapolation, 2011. Aquarelle sur papier, 58 x 110 cm, Space Studios.
13 Les effets d’une délimitation de l’espace et du temps sont abordés dans la série de dessins Règles d’extrapolation de Josée Dubeau, exposée aux Space Studios de Londres (Royaume-Uni) en 2011 et à la galerie Patrick Mikhail à Ottawa (Canada) en 2012. Ces aquarelles grand format (entre 40 x 100cm et 100 x 150cm) sur papier blanc ont été réalisées au tire-ligne, « instrument privilégié par les architectes pour dessiner des plans ». Chacun des dessins explore des manières d’organiser le temps et l’espace (chartes, échelles, etc.), mais aussi, indirectement, les personnes. Ils spatialisent ainsi, par la répétition de traits, la perception du temps sur l’espace de la feuille et, dès lors, celle que les spectateurs en ont, de sorte que ceux-ci puissent s’éprouver eux-mêmes dans le temps et l’espace aménagés par le dessin. La série montre à la fois l’artificialité et l’arbitraire de la délimitation et les possibilités que celle-ci offre pour se positionner dans l’espace et le temps. La contrainte du tire-ligne, qui « fait appel à des gestes méticuleux qui s’échelonnent sur de longues périodes de temps », souligne la difficulté de définir les contours de l’espace et du temps, une certaine résistance du réel. En même temps, les traits instillent du mouvement et ouvrent à l’extrapolation, comme l’indique le titre de la série.
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Josée Dubeau, Règles d’extrapolation, 2011. Aquarelle sur papier, 100 x 150 cm, Space Studios.
V. Renouveler le dispositif cartographique
14 L’étude des dispositifs cartographiques dans le roman contemporain, en identifiant certains usages et conceptions de l’espace, offre une perspective pertinente sur l’habiter contemporain. Conçue comme dispositif et transposée dans le récit, la carte dépasse la référentialité à laquelle elle est souvent réduite tandis que la fiction est un outil privilégié pour souligner l’artifice constitutif de la carte. Ainsi, Le Méridien de Greenwich accentue l’illusoire maîtrise du territoire que proposent les normes cartographiques en insistant, par la multiplication de faux, sur l’arbitraire de la représentation. Néanmoins, c’est en nommant arbitrairement l’espace que les humains peuvent s’y retrouver, puisque cela permet d’entrer en rapport avec l’espace et de l’habiter. Le roman souligne toutefois l’apport de la fiction dans l’appréhension de l’espace : en s’emparant de la représentation, la fiction permet à la fois d’en montrer les revers et de poser un autre regard sur la réalité. Le pouvoir spéculatif de la fiction donne de la profondeur à une représentation autrement plate et partielle, à l’image du faisceau lumineux qui sort de l’œil du Polyphème de terre cuite et révèle les particules invisibles dans Le Méridien de Greenwich. L’analyse d’œuvres d’art contemporain comme celles de Josée Dubeau, qui interrogent à leur manière la représentation de l’espace, montre un pouvoir comparable des œuvres plastiques à créer une autre dimension pour accueillir l’imaginaire, comme c’est le cas dans Lignes de fuite.
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Josée Dubeau, Lignes de fuite (détail), 2013.
Dessin mural aux fils de couleur, dimensions variables, Centre Vaste et Vague.
15 Grâce à la distance qu’ils offrent vis-à-vis de l’image, les dispositifs cartographiques littéraires peuvent montrer comment celle-ci oriente largement la représentation et l’usage privé et publique de l’espace. Dans L’Occupation des sols, le récit montre comment une fresque murale, leurre de la représentation, oriente les parcours des personnages et définit leur manière d’investir l’espace. Toutefois, c’est l’interprétation plastique de cette œuvre par Josée Dubeau dans Le Plan déplié/The Unfolding Plan qui souligne l’artifice du récit, grâce à sa réalisation au crayon inactinique bleu, invisible à la reproduction en noir en blanc. L’image forme ainsi un écran au deuil des personnages, mais parce qu’elle est indissociable du bâti, elle fait naître de fausses perspectives et insiste sur les failles de la représentation de l’espace. Les plans millimétriques décrits dans le récit d’Echenoz et reproduits dans la murale de Dubeau inscrivent un mouvement à partir de l’architecture qui s’oppose à la fixité mortifère de l’image, en ouvrant des possibilités pour l’habiter.
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Josée Dubeau, Le Plan déplié (détail), 2014. Dessin mural au crayon inactinique bleu, dimensions variables, Centre Axenéo7.
16 L’imagerie satellite et son point de vue déshumanisé ont été étudiés dans Nous trois, à partir du vol orbital réalisé par cinq personnages dans une navette spatiale. À la cartographie saisie depuis le ciel dans ce roman répond une cartographie du ciel, présenté comme témoin familier de l’état de la planète. L’intérêt porté aux éléments naturels et à leurs parcours, en déconstruisant la dichotomie sujet-objet, souligne l’inadéquation du regard développé pendant la modernité, qui tient la planète à distance et plaque la carte sur le territoire. Le récit engage l’expérience du décor implicite que forme la planète et l’oppose à l’imaginaire du voyage spatial. Cet imaginaire est exploité dans les séries Perdu dans l’espace et Spoutnik de Josée Dubeau pour soutenir son côté inhabitable, où les humains et leurs habitations sont suspendues ou chutent vers la planète qu’ils tentent d’observer à distance pour mieux en faire la cartographie sans toutefois l’arpenter réellement.
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Josée Dubeau, Perdu dans l’espace, 2004. Gouache sur papier, 150 x 175 cm, Collection du Musée national des Beaux-Arts du Québec.
17 L’imaginaire cartographique moderne et le rapport qu’il pose entre planisphère et globe terrestre ont guidé l’analyse de Je m’en vais, où ils affectent la perception spatiale du protagoniste et témoignent des pouvoirs qui guident, hors de toute appréciation scientifique, les normes cartographiques. Le dispositif cartographique remployé dans le roman permet de déconstruire, notamment grâce à l’ironie caractéristique d’Echenoz, les nombreux biais qui faussent la représentation du territoire. Il témoigne aussi de la résistance du réel à la cartographie, à l’image des « pôles rétifs » qui, doués de leur propre agentivité, ne se laissent pas aisément aplatir. Les frontières décrites dans ce roman, quant à elles, insistent sur l’écart marqué entre leur représentation et l’expérience qu’elles suscitent chez les personnages, indiquant ainsi la puissance de suggestion que la cartographie porte, jusqu’à affecter la perception et l’image de soi. Cette manière de s’éprouver différemment à partir d’une délimitation du temps et de l’espace survient aussi face aux Règles d’extrapolation de Josée Dubeau, qui marquent à leur façon la contrainte des frontières, mais aussi le mouvement qu’elles peuvent susciter en chacun.
Les dispositifs cartographiques insistent sur la pratique des lieux.
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Josée Dubeau, Règles d’extrapolation, 2011. Aquarelle sur papier, 60 x 100 cm, Space Studios.
18 Dans tous les cas, l’analyse des dispositifs cartographiques dans le roman contemporain, si elle permet d’identifier la part d’arbitraire que fonde toute carte, révèle aussi la mobilité qui caractérise la représentation de l’espace à l’époque contemporaine. En participant à l’émergence de qualités nouvelles d’espace, cette mobilité accrue considérée à partir de la cartographie insiste sur une conception de l’habiter fondée sur la pratique des lieux : il s’agit, comme le propose Mathis Stock, de « faire avec de l’espace » plutôt que « d’être dans l’espace ». Chez Echenoz, les dispositifs cartographiques suggèrent une appréhension de l’espace « non pas comme étendue, contenant ou surface terrestre, mais comme une condition et ressource de l’action ». De cet espace qui ne préexiste pas à la pratique mais qui est produit, on peut tirer deux observations par rapport aux dispositifs cartographiques. D’abord, ces dispositifs participent à la production de l’espace – ils ne tiennent pas uniquement de la représentation et procèdent de la production de l’espace, ce que soutient l’analyse des fictions produites par les romans d’Echenoz et les œuvres de Josée Dubeau. Ensuite, l’aspect foncièrement pragmatique des dispositifs cartographiques met en avant les usages de l’espace (et, par extension, de ses représentations) qui, en retour, insistent sur la dimension collective et non seulement individuelle de cette pratique. Ainsi, avec les dispositifs cartographiques, on quitte une conception substantialiste de l’espace pour une conception « trajective », qui n’est pas sans rappeler les itinéraires à travers les signes des artistes, que Nicolas Bourriaud qualifie de sémionautes. L’arpentage du territoire rendu dans la narration ou les œuvres plastiques identifie d’autres usages de la cartographie, qui défient « la conquête du monde comme image » que celle-ci sous-entend et réconcilient par la fiction « parcours et cartes au sein même d’un dispositif ».
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Notes
19
1 International Cartographic Association, cité dans Tim Ingold, The Perception of the Environment. Essays on Livelihood, Dwelling and Skill, London, Routledge, 2000, p. 240. Ma traduction.
2 Philippe Ortel (dir.), « Introduction », Discours, image, dispositif. Penser la représentation II, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 6. Souligné dans le texte.
3 Ibid. Souligné dans le texte.
4 Michel de Certeau, L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 179.
5 Gilles Tiberghien, Finis terrae. Imaginaires et imaginations cartographiques, Paris, Bayard, 2007, p. 114.
6 Ibid., intitulé du chapitre IX.
7 Véronique Maleval, Marion Picker et Florent Gabaude (dir.), Géographie poétique et cartographie littéraire, Limoges, Presses de l’Université de Limoges, 2013, quatrième de couverture.
8 Jean-Baptiste Harang, « La réalité en fait trop, il faut la calmer. Entretien avec Jean Echenoz. », Libération, 16.09.1999.
9 Christine Jérusalem, Jean Echenoz : géographies du vide, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2005.
10 Le dispositif cartographique et non seulement la carte, telle qu’elle peut être incluse dans certains récits, même contemporains (comme, par exemple, dans Un livre blanc de Philippe Vasset).
11 Voir les travaux de Philippe Ortel, Arnaud Rykner et Stéphane Lojkine, dont Arnaud Rykner, Pans. Liberté de l’œuvre et résistance du texte, Paris, José Corti, 2004, et Stéphane Lojkine, Image et subversion, Paris, Jacqueline Chambon, 2005.
12 Philippe Ortel (dir.), « Vers une poétique des dispositifs », Discours, image, dispositif. Penser la représentation II, op.cit., p. 33-58.
13 Michel Foucault, Dits et écrits 1976-1988, t. II, Paris, Gallimard, 2001, p. 299.
14 Philippe Ortel (dir.), « Vers une poétique des dispositifs », Discours, image, dispositif. Penser la représentation II, op.cit., p. 36.
15 Ibid.
16 Jean Echenoz, Le Méridien de Greenwich, Paris, Minuit, 1979, p. 248.
17 Bien entendu, le véritable méridien de Greenwich ne passe pas par le Pacifique, ce qui concourt à l’identifier comme ressort du récit et à insister sur l’arbitraire de la norme cartographique.
18 Nathalie Sarraute, L’Ère du soupçon, Paris, Gallimard, 1956.
19 Jean Echenoz, Le Méridien de Greenwich, op.cit., p. 10.
20 Ibid., p. 194.
21 Stéphane Lojkine, Image et subversion, Paris, Jacqueline Chambon, 2005.
22 Jean Echenoz, Le Méridien de Greenwich, op.cit., p. 95.
23 Ibid., p. 217.
24 Ibid.
25 Ibid., p. 225.
26 Ibid., p. 221.
27 Ibid., p. 244.
28 Ibid., p. 222.
29 Ibid., p. 15.
30 Franco Farinelli, « Im anfang war die karte », dans Véronique Maleval, Marion Picker et Florent Gabaude (dir.), Géographie poétique et cartographie littéraire, op.cit., p. 15.
31 Ibid.
32 Ibid., p. 16.
33 Christine Jérusalem, « Le Méridien de Greenwich de Jean Echenoz : une machine à “remythifier” le temps », La licorne : revue de langue et de littérature françaises, n°55, 2000, p. 91.
34 Jean Echenoz, Le Méridien de Greenwich, op.cit., p. 17.
35 Description de l’œuvre sur le site de l’artiste : www.joseedubeau.com/index.php?/light-distance/lignes-de-fuite--
36 Bien que qualifier l’œuvre d’Echenoz de minimaliste soit discutable, il s’agit d’une appellation répandue dans la critique. Voir, par exemple : Sophie Deramond, « Minimalisme et spatialité chez Jean Echenoz », dans Marc Dambre et Bruno Blanckeman (dir.), Romanciers minimalistes 1979-2003, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2012, p. 93-101.
37 Jean Echenoz, L’Occupation des sols, Paris, Minuit, 1988.
38 Ibid., p. 8.
39 Ibid., p. 21.
40 Ibid., p. 7.
41 Ibid., p. 8.
42 Ibid., p. 10.
43 Sur l’image de Sylvie comme privée et publique, voir Émilie Ieven, « De l’image pensive à l’écriture cartographique : pluralité des modes de représentation au sein de L’Occupation des sols de Jean Echenoz », dans Isabelle Ost (dir.), Cartographier. Regards croisés sur des pratiques littéraires et philosophiques contemporaines, Bruxelles, Presses de l’Université de Saint-Louis, 2018, p. 279-296.
44 Article de Michael Davidge cité sur le site de l’artiste : www.joseedubeau.com/index.php?/dessins/le-plan-deplie--the-unfolding-plan
45 Description de l’œuvre sur le site de l’artiste : www.joseedubeau.com/index.php?/dessins/le-plan-deplie--the-unfolding-plan
46 Charlotte Thimonnier, « Sur les ruines sacrées de l’image. L’Occupation des sols de Jean Echenoz. Nel museo di Reims de Daniele del Giudice », Trans, nᵒ 2, 2006, p. 7.
47 Jean-Jacques Wunenburger, La Philosophie des images, Paris, PUF, 2001 [1997], p. 142.
48 Stéphane Lojkine, « Dispositif », Utpictura18, www.utpictura18.univ-montp3.fr/GenerateurTexte.php?texte=0015-Dispositif
49 Manon Delcour, « D’une littérature fin de siècle à une écriture du dénouement : l’habitation hantée dans “Véra”, Bruges-la-Morte et L’Occupation des sols », Les lettres romanes, vol. 70(1-2), 2016, p. 80-104.
50 Jean Echenoz, L’Occupation des sols, op. cit., p. 13.
51 Pierre Hyppolite, « L’Occupation des sols de Jean Echenoz ou l’occupation de l’espace architectural, iconique et littéraire », dans Architecture, littérature et espaces, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2006, p. 65-79.
52 Arnaud Rykner, Pans. Liberté de l’œuvre et résistance du texte, Paris, José Corti, 2004, p. 18.
53 « obliquely skew the structure of the room and its perspectival space ». Article de Michael Davidge cité sur le site de l’artiste : www.joseedubeau.com/index.php?/dessins/le-plan-deplie--the-unfolding-plan
54 Émilie Ieven, « De l’image pensive à l’écriture cartographique : pluralité des modes de représentation au sein de L’Occupation des sols de Jean Echenoz », op.cit., p. 283.
55 Ibid.
56 Benoit Goetz, La Dislocation : architecture et philosophie, Paris, Passion, 2002, p. 131.
57 Jean Echenoz, L’Occupation des sols, op.cit., p. 15.
58 Ibid., p. 19 et 21.
59 Jean Echenoz, Nous trois, Paris, Minuit, 1992, p. 9.
60 Ibid., p. 10.
61 Ibid., p. 7.
62 Ibid., p. 193.
63 Ibid., p. 194-195.
64 Ursula Heise, « From the Blue Planet to Google Earth: Environmentalism, Ecocriticism, and the Imagination of the Global », dans Sense of Place and Sense of Planet. The Environmental Imagination of the Global, Oxford, Oxford University Press, 2008.
65 Émilie Hache (dir.), « Introduction. Retour sur terre », De l’univers clos au monde infini, Bellevaux, Dehors, 2014, p. 18.
66 Jean Echenoz, Nous trois, op.cit., p. 86.
67 Isabelle Dangy, « L’obsession de la planète chez Echenoz », dans Arlette Bouloumié & Isabelle Trivisani-Moreau (dir.), Le Génie du lieu. Des paysages en littérature, Paris, Imago, 2005, p. 330.
68 Jean Echenoz, Nous trois, op.cit., p. 13-14.
69 Jane Bennett, Vibrant Matter. A Political Ecology of Things, London, Duke University Press, 2010 ; Serenella Iovino & Serpil Oppermann (dir.), Material Ecocriticism, Bloomington, Indiana University Press, 2014.
70 Áron Kibedi Varga, « Le récit postmoderne », Littérature, n°77, 1990, p. 10.
71 Description de l’œuvre sur le site de l’artiste : www.joseedubeau.com/index.php?/dessins/perdu-dans-lespace/
72 Voir notamment Gérard Pommier, Les Corps angéliques de la postmodernité, Paris, Calmann-Lévy, 2000 et Charles Melman, La Nouvelle économie psychique. La façon de penser et de jouir aujourd’hui, Toulouse, Érès, 2009.
73 Le gaz rose qui semble s’échapper de la combinaison spatiale de l’astronaute, comme s’il s’agissait de sa réserve d’oxygène, renforce cette impression.
74 Jean Echenoz, Je m’en vais, Paris, Minuit, 1999, p. 68.
75 Gilles Tiberghien, Finis Terrae : imaginaires et imaginations cartographiques, op.cit., p. 111.
76 Jean Echenoz, Je m’en vais, op.cit., p. 181.
77 Ibid.
78 Ibid., p. 185.
79 J.B. Harley, « Deconstructing the Map », Cartographica, vol. 26(2), 1989, p. 1-20.
80 Jean Echenoz, Je m’en vais, op.cit., p. 188.
81 Description de l’œuvre sur le site de l’artiste : www.joseedubeau.com/index.php?/dessins/reglesrulers
82 Ibid.
83 Mathis Stock, « L’habiter comme pratique des lieux », espacestemps.net, 18.12.2004.
84 Mathis Stock, « Théorie de l’habiter. Questionnements », dans Michel Lussault, Chris Younès et Thierry Paquot, Habiter, le propre de l’humain, Paris, La Découverte, 2007 p. 104.
85 Henri Lefebvre, La Production de l’espace, Paris, Economica, 2000. Voir aussi les travaux de Frédéric Vinot sur la production langagière de l’espace : Frédéric Vinot, « Hystérie et structure d’hébergement. Nouvelles notes pour une clinique de l’habiter », L’évolution psychiatrique, n°80, 2015, p. 467-477 ; Sara Bédard-Goulet et Frédéric Vinot, « L’événement de spectature et l’image cinématographique dans Les Vues animées de Michel Tremblay », Synergies pays riverains de la Baltique, n°13, 2019, p. 49-60.
86 Augustin Berque, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000.
87 Nicolas Bourriaud, Formes de vie. L’art moderne et l’invention de soi, Paris, Denoël, 1999.
88 Peter Sloterdijk, Le Palais de cristal. À l’intérieur du capitalisme planétaire, Paris, Fayard, 2006, p. 147.
89 Manon Delcour, « Cartes et taches dans l’œuvre de Jean Echenoz », dans Isabelle Ost (dir.), Cartographier. Regards croisés sur des pratiques littéraires et philosophiques contemporaines, Bruxelles, Presses de l’Université de Saint-Louis, 2018, p. 277.
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http://www.antiatlas-journal.net/pdf/antiatlas-journal-04-Bedard-Goulet-itineraires-echenoziens.pdf